Page:Saint-Simon - Mémoires, Chéruel, Hachette, 1858, octavo, tome 17.djvu/202

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qu’une infinité de gens demeureroient ruinés, que je sentois toute la difficulté, souvent l’impossibilité des restitutions, et de plus à qui restituer cette sorte de gain ; que j’abhorrois le bien d’autrui, et que pour rien je ne m’en voulois charger, même d’équivoque.

M. le duc d’Orléans ne sut trop que me répondre, mais néanmoins, parlant, rebattant et mécontent, revenant toujours à son idée de refuser les bienfaits du roi. L’impatience heureusement me prit : je lui dis que j’étois si éloigné de cette folie que je lui ferois une proposition dont je ne lui aurois jamais parlé sans tout ce qu’il me disoit, et dont non seulement je ne m’étois pas avisé, mais, comme il étoit vrai, qui me tomboit en ce moment dans l’esprit pour la première fois. Je lui expliquai ce qu’autrefois je lui avois conté, dans nos conversations inutiles, des dépenses qui avoient ruiné mon père à la défense de Blaye contre le parti de M. le Prince, à y être bloqué dix-huit mois, à avoir payé la garnison, fourni des vivres, fait fondre du canon, muni la place, entretenu dedans cinq cents gentilshommes qu’il y avoit ramassés, et fait plusieurs dépenses pour la conserver au roi sans rien prendre sur le pays, et n’ayant tiré que du sien ; qu’après les troubles on lui avoit expédié pour cinq cent mille livres d’ordonnances dont il n’avoit jamais eu un sou, et dont M. Fouquet alloit entrer en payement lorsqu’il fut arrêté. Je dis après à M. le duc d’Orléans que, s’il vouloit entrer dans la perte de cette somme et dans celle d’un si long temps sans en rien toucher, tandis que mon père et moi portions, pour ce service essentiel rendu au roi, bien plus que la somme, et de plus les intérêts tous les ans depuis, ce seroit une justice que je tiendrois à grande grâce, et que je recevrois avec beaucoup de reconnoissance, en lui rapportant mes ordonnances à mesure des payements pour être brûlées devant lui. M. le duc d’Orléans le voulut bien il en parla dès le lendemain à Law ; mes billets et ordonnances furent peu à peu brûlés dans le cabinet de M. le