Page:Saint-Simon - Mémoires, Chéruel, Hachette, 1858, octavo, tome 17.djvu/300

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sous quelque prétexte, avec ferme résolution de n’y plus retourner.

L’abbé Tencin et elle ne furent jamais qu’un cœur et qu’une âme par la conformité des leurs, si tant est que cela se puisse dire en avoir. Il fut son confident toute sa vie ; elle de lui. Il sut la servir si bien par son esprit et ses intrigues qu’il la soutint bien des années au milieu de la vie, du monde, des plaisirs et des désordres, dont il prenoit bien sa part, dans la province, et jusqu’au milieu de Paris, sans avoir changé d’état ; elle fit même beaucoup de bruit par son esprit et par ses aventures sous le nom de la religieuse Tencin. Le frère et la sœur, qui vécurent toujours ensemble, eurent l’art que personne ne l’entreprît sur cette vie vagabonde et débauchée d’une religieuse professe, qui en avoit même quitté l’habit de sa seule autorité. On feroit un livre de ce couple honnête, qui ne laissèrent pas de se faire des amis par leur agrément extérieur et par les artifices de leur esprit. Vers la fin de la vie du roi ils trouvèrent enfin moyen d’obtenir de Rome un changement d’état, et de religieuse la faire chanoinesse, je ne sais d’où et où elle n’alla jamais. Cette solution demeura imperceptible en nom, en habit, en conduite, et ne fit ni bruit ni changement. C’est l’état où elle se trouva à la mort du roi. Bientôt après elle devint maîtresse de l’abbé Dubois, et ne tarda guère à devenir sa confidente, puis la directrice de la plupart de ses desseins et de ses secrets. Cela demeura assez longtemps caché, et tant que la fortune de l’abbé Dubois eut besoin de quelques mesures ; mais depuis qu’il fut archevêque, encore plus lorsqu’il fut cardinal, elle devint maîtresse publique, dominant chez lui à découvert, et tenant une cour chez elle, comme étant le véritable canal des grâces et de la fortune. Ce fut donc elle qui commença celle de son frère bien-aimé ; elle le fit connoître à son amant secret, qui ne tarda pas à le goûter comme un homme si fait exprès pour le seconder en toutes choses, et lui être singulièrement utile.