Page:Saint-Simon - Mémoires, Chéruel, Hachette, 1858, octavo, tome 17.djvu/39

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mais la mémoire de M. de Beauvilliers, et les obligations étroites, importantes, continuelles, qu’il lui avoit à l’égard de Mgr le duc de Bourgogne, lorsqu’il alloit tout gouverner, puis à la mort de ce prince, et précédemment encore lors du mariage de Mme la duchesse de Berry. Je m’espaçai sur ces matières avec la dernière force, et je finis par lui dire qu’il étoit fait et payé, tout régent qu’il étoit, pour souffrir toutes les sottises et tous les égarements du gendre de M. de Beauvilliers. Il disputa, me fit sentir encore que l’occasion étoit belle et unique. Mon indignation redoubla, dont la fin fut que la démission fut sur-le-champ mise en pièces.

Au sortir du Palais-Royal, j’allai dire à la duchesse de Mortemart la folie que son fils venoit de faire, la peine que j’avois eue à l’en sauver, et le soin extrême qu’elle devoit d’en empêcher une troisième récidive, qui sûrement seroit plus forte que moi, ou se brusqueroit à mon insu, puisque c’étoit le plus grand hasard du monde que celle-ci fût arrivée le même jour et si peu de temps avant que je vinsse travailler avec M. le duc d’Orléans. Le duc de Mortemart, revenu de sa fougue par l’avoir satisfaite, sentit tout le péril où elle l’avoit jeté, et se trouva heureux de n’avoir pas perdu sa charge. Je fus très surpris, trois jours après, de le voir entrer dans ma chambre, où il me fit de grands remercîments. Je lui répondis froidement qu’il ne m’en devoit aucun, parce que je n’avois rien fait pour lui, mais tout par mon tendre, fidèle et reconnoissant souvenir de M. le duc de Beauvilliers, dont la famille me seroit toujours infiniment chère, et pour conserver sa charge à ses petits-fils, et je l’exhortai en peu de mots à ne se plus jouer à mettre la patience de M. le duc d’Orléans à de pareilles épreuves. On peut juger que la franchise d’une si sèche réponse abrégea la visite, qui finit froidement, mais poliment, sans que depuis j’aie ouï parler de lui. Le lendemain matin, sa femme, qu’il tenoit étrangement captive, dont la vertu, la piété, l’esprit et la conduite méritoient un tout autre mari, vint