Page:Saint-Simon - Mémoires, Chéruel, Hachette, 1858, octavo, tome 17.djvu/422

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esseulé de la Montagne, et s’informa là comme il faisoit partout. Le maître hôtelier lui parut [avoir] de l’esprit, et lui fit espérer qu’au retour de ses fils qui étoient aux champs, ils pourroient lui trouver quelque passage. Vers la fin du jour, ils revinrent à la maison. Conseil tenu, le commis leur trouva de l’intelligence et des ressources, tellement qu’il se livra à eux, et eux se chargèrent du transport qu’il désiroit. Il manda son convoi de mulets au plus vite, et il passa avec eux conduits par les frères Pâris, qui prirent des chemins qu’eux seuls et leurs voisins connoissoient, à la vérité fort difficiles, mais courts, en sorte que sans perdre une seule charge le convoi joignit M. de Vendôme arrêté tout court faute de pain, et qui juroit et pestoit étrangement contre les munitionnaires, sur qui Bouchu avoit rejeté toute la faute. Après les premiers emportements, le duc de Vendôme, ravi d’avoir des vivres et de pouvoir marcher et exécuter ce qu’il avoit projeté, se trouva plus traitable. Il voulut bien écouter ce commis, qui lui fit valoir sa vigilance, son industrie et sa diligence à traverser des lieux inconnus et affreux, et qui lui prouva par plusieurs réponses de M. Bouchu, qu’il avoit gardées et portées, combien il l’avoit pressé de faire passer les munitions et les farines à temps ; que c’étoit la faute unique de l’intendant à cet égard qui avoit mis l’armée dans la détresse où elle s’étoit trouvée ; et fit en même temps confidence au général de la haine de Bouchu, jusqu’à hasarder l’armée pour le perdre, et la cause ridicule de cette haine ; en même temps se loua beaucoup de l’intelligence et de la volonté de l’hôtelier et de ses fils, auxquels il devoit l’invention et le bonheur du passage de son convoi. Le duc de Vendôme alors tourna toute sa colère contre Bouchu, l’envoya chercher, lui reprocha devant tout le monde ce qu’il venoit d’apprendre, conclut par lui dire qu’il ne savoit à quoi il tenoit qu’il ne le fît pendre pour avoir joué à perdre l’armée du roi. Ce fut le commencement de la disgrâce de Bouchu, qui ne se soutint plus qu’à force de bassesses, et