Page:Saint-Simon - Mémoires, Chéruel, Hachette, 1858, octavo, tome 17.djvu/434

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greluchon [1], à qui elle raconta cette histoire tant elle la trouvoit plaisante. Par cette même raison le greluchon la rendit à Biron, qui le soir même me la conta. Je déplorai avec lui les chaînes du régent, à qui je n’ai jamais parlé depuis de ce sacre, ni lui à moi ; mais il fut après bien honteux et bien embarrassé avec moi. Je n’ai point su s’il poussa la faiblesse jusqu’à conter à l’abbé Dubois ce que je lui avois dit pour l’empêcher d’aller à son sacre, ou s’il en fut informé par la Parabère, pour se faire un mérite auprès de lui d’avoir fait changer M. le duc d’Orléans là-dessus et faire montre de son crédit. Mais il en fut très parfaitement informé et ne me l’a jamais pardonné, et j’ai su depuis par Belle-Ile qu’il avoit dit à M. Le Blanc et à lui que, de toutes les contradictions que je lui avois fait essuyer, même du danger pressant où je l’avois mis quelquefois, rien ne l’avoit si profondément touché et blessé, et jusqu’au fond de l’âme, que d’avoir voulu empêcher M. le duc d’Orléans d’assister à son sacre, duquel il est maintenant temps de parler.

Tout y parut également superbe et choisi pour faire éclater la faveur démesurée d’un ministre éperdu d’orgueil et d’ambition sans bornes, la servitude la plus publique et la plus démesurée où il avoit réduit son maître, et l’audace effrénée de s’en parer en la manifestant aux yeux de toute la France avec le plus grand éclat, et de là ceux de toute l’Europe, à qui il vouloit apprendre de la manière la plus éclatante que lui étoit entièrement le maître de la France, soit pour le dedans, soit pour le dehors, sous un nom qui n’étoit qu’une vaine écorce, et qu’à lui seul il falloit s’adresser pour quelque grâce et pour quelque affaire que ce fût, comme à l’unique dispensateur et au seul véritable arbitre de toutes choses en France.

Le Val-de-Grâce fut choisi pour y faire le sacre comme

  1. Mot familier et libre, dit l’ancien Dictionnaire de l’Académie. Ildésigne l’amant aimé et favorisé secrètement par une femme qui se fait payer par d’autres amants.