Page:Saint-Simon - Mémoires, Chéruel, Hachette, 1858, octavo, tome 17.djvu/68

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ennemis, que l’épreuve de cette vérité étoit de tous les siècles, si on en excepte des instants comme entre Henri IV et Élisabeth, et les moments d’autorité de Charles II et du changement du conseil de la reine Anne ; que leur double intérêt revenoit au même : celui du roi Georges, de tout faire pour l’empereur, par la raison de ses États d’Allemagne, et par l’investiture de Brême et de Verden, après laquelle il soupiroit depuis si longtemps, et que l’empereur lui faisoit attendre pour le tenir en ses mains et s’en servir sûrement dans toutes ses vues ; de la nation, qui n’avoit d’objet que le commerce, que de ruiner celui d’Espagne et le nôtre en même temps, peu inquiets de celui du Portugal où ils étoient les maîtres, de celui de Hollande qu’ils avoient à demi ruiné et dont ils dominoient la république, et que nous avions grand intérêt de ne pas laisser achever de ruiner, parce qu’il ne pouvoit nous être contraire au point où il se trouvoit réduit. J’ajoutai l’intérêt commun de toute l’Europe, de brouiller sans cesse et irrémédiablement, si elle le pouvoit, les deux branches de la maison de France ; dont la jalousie étoit telle, depuis que la couronne d’Espagne y étoit entrée, qu’il n’étoit efforts qu’elle n’eût faits pour l’en arracher, et depuis ne l’avoir pu par les armes, pour brouiller les deux couronnes et y semer sans cesse la zizanie depuis la mort du roi ; que cet objet étoit si grand pour l’empereur et pour l’Angleterre, qu’il ne falloit pas croire que nulle difficulté pût les rebuter, et d’autre part aussi tellement visible que tous leurs artifices ne pouvoient qu’être grossiers ; que l’intérêt si grand, si évident, si naturel de notre union avec l’Espagne, nous étoit appris par leur acharnement à tout tenter pour la rompre, quand nous ne sentirions pas jusqu’à quel point il étoit capital à la France d’entretenir une union indissoluble avec l’Espagne, d’avoir mêmes amis et mêmes ennemis, et, comme je le lui avois si souvent représenté dans son cabinet et en plein conseil, d’imiter l’union des deux branches de la maison d’Autriche, qui avoit mis le sceau à sa grandeur, et