Page:Saint-Simon - Mémoires, Chéruel, Hachette, 1858, octavo, tome 17.djvu/73

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cas, vous affaiblissez l’État, vous en agrandissez d’autant les ennemis naturels par qui vous vous laissez entraîner à la guerre ; vous tentez toute une nation, accoutumée depuis qu’elle existe dans le pays où elle est, à l’aînesse dans la maison de ses rois ; vous hasardez un pouvoir précaire et vous donnez lieu de publier que vous ne l’employez que pour votre intérêt personnel, et pour acheter aux dépens de l’État, de son plus naturel intérêt et de tout le sang et les trésors répandus depuis la mort du feu roi d’Espagne, pour acheter, dis-je, un appui étranger contre les droits de Philippe V sur la France, dont par là vous avouez toute la force et toute votre crainte. Et au cas d’heureux succès, que ces mêmes puissances vous forcent à pousser plus loin que vous ne voudrez, où en seriez-vous si le roi d’Espagne, à bout de moyens, et de dépit, vous laissoit faire, entroit en France désarmé, publioit qu’il vient se livrer à ces mêmes François qui l’ont mis et qui l’ont maintenu sur le trône, qui sont les sujets de ses pères et de son propre neveu paternel ; qu’il ne vient que pour le secourir et en prendre la régence que sa naissance lui donne, sitôt que son absence ne l’en exclut plus, et l’arracher lui, sa nation et son héritage à un gouvernement tel qu’il lui plaira de le représenter ? Je ne sais, ajoutai-je, quelle en pourroit être la révolution ; mais je vous confesse, monsieur, à vous tout seul, que pour moi, qui n’ai jamais été connu du roi d’Espagne que pour avoir joué aux barres avec lui et à des jeux de cet âge, qui n’en ai pas ouï parler depuis qu’il est en Espagne, ni lui beaucoup moins de moi, et qui n’y connois qui que ce soit ; moi, qui suis à vous dès l’enfance, et qui savez à quel point j’y suis ; qui ai tout à attendre de vous, et quoi que ce soit de nul autre, je vous confesse, dis-je, que, si les choses venoient à ce point, je prendrois congé de vous avec larmes, j’irais trouver le roi d’Espagne, je le tiendrois pour le vrai régent et le dépositaire légitime de l’autorité et de la puissance du roi mineur ; que si moi, tel que je suis pour vous, pense et