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Page:Saint-Simon - Mémoires, Chéruel, Hachette, 1858, octavo, tome 18.djvu/117

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qu’il ne pressoit l’Espagne de se couper la gorge à elle-même en faveur des Anglois.

Dès les commencements de la régence, on a pu voir ici et plusieurs fois depuis combien ce joug Anglois me pesoit ; plus il s’appesantissoit, plus il me devenoit insupportable. Je ne pus donc tenir au récit que me fit M. le duc d’Orléans. Je lui fis sentir le préjudice extrême que le commerce de France alloit recevoir et l’Espagne elle-même si elle se laissoit entraîner aux conditions qu’il m’exposoit, et combien lui-même seroit un jour comptable au roi et à la nation d’avoir souffert que l’abbé Dubois vendit des intérêts si grands et si chers à l’Angleterre, qui sauroit bien dans tous les temps se conserver ce qui lui seroit accordé. Je l’exhortai du moins à laisser traiter cette affaire au congrès de Cambrai qui s’alloit ouvrir, où presque tous les ministres des premières puissances étrangères étoient arrivés, duquel l’objet n’étoit pas moins de régler les difficultés entre l’Angleterre et l’Espagne sur le commerce et avec nous-mêmes, que de tacher d’ajuster l’Espagne avec l’empereur et de parvenir à une paix entre eux. Que là, en présence de tant de ministres, des Hollandois surtout, quoique si liés à l’Angleterre par terre, mais jaloux et si las de leurs progrès au delà des mers, l’Espagne trouveroit des secours et l’Angleterre des embarras et des difficultés très profitables ; à tout le moins lui, régent, éviteroit le blâme de s’être hâté d’égorger la France et l’Espagne sous la cheminée, en procurant à l’Angleterre toutes ses nouvelles et très injustes prétentions. Le détail fut long sur les plaies qui étoient portées par les conditions demandées par les Anglois à l’Espagne ; et au commerce de France qu’elles ruinoient, et à celui de toute l’Europe qu’elles attaquoient et qui en demeureroit extrêmement affaibli si elles étoient accordées, et sur la certitude qu’elles demeureroient toujours aux Anglois, si elles tomboient une fois entre les serres d’une nation si avide, si avantageuse, si puissante par mer, si fort née pour les colonies et pour le commerce, si