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Page:Saint-Simon - Mémoires, Chéruel, Hachette, 1858, octavo, tome 18.djvu/118

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jalouse d’y dominer, si suivie, si pénétrée de son intérêt, du commerce, dis-je, qui intéresse chaque particulier et qui est tout entier et dans toutes ses parties entre les mains de la nation, dans les parlements et absolument hors de prise à leur roi et à ses ministres. J’insistai donc sur le grand intérêt de la France et de l’Espagne de laisser porter ces prétentions au congrès de Cambrai, où l’intérêt palpable du commerce de toute l’Europe tiendroit les yeux de tous les ministres ouverts, et formeroit des obstacles et des entraves aux Anglois, dont le régent n’auroit point le démérite, tout au plus ne feroit que le partager avec toutes les autres puissances, et sauveroit ainsi en tout ou en la plus grande partie le commerce de France, celui d’Espagne et le commerce de toute l’Europe dont l’Angleterre se vouloit emparer, et deviendroit enfin la maîtresse de l’Europe, puisqu’elle en posséderoit seule tout l’argent, qui par le commerce s’est jusqu’ici distribué en toutes ses parties plus ou moins inégalement à proportion du commerce de chacune.

Ce discours plus fort et bien plus détaillé, et plus long que je ne le rapporte, fit une grande impression à M. le duc d’Orléans. Il entra en discussion, il convint avec moi de beaucoup de choses, et peu à peu que j’avois raison. Cela m’encouragea, de sorte qu’après l’avoir battu sur ses objections par rapport à ses entraves avec l’Angleterre, je lui dis qu’il n’avoit qu’à voir où l’intérêt personnel de l’abbé Dubois l’avoit conduit ; que je lui avois souvent dit qu’il ne songeoit qu’à être cardinal, et que toujours, lui régent, s’étoit récrié d’indignation, vraie ou feinte, et qu’il le feroit mettre dans un cul de basse-fosse s’il le surprenoit dans une telle pensée ; que néanmoins rien n’étoit plus vrai ; que je ne lui enviois le cardinalat en aucune sorte, qu’il ne seroit pas le premier cuistre ni le centième qui le seroit devenu ; qu’un régent de France, tel qu’il l’étoit, devoit assez se sentir et être en effet assez considérable pour pouvoir récompenser d’un chapeau qui que ce fût, surtout un homme qui