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Page:Saint-Simon - Mémoires, Chéruel, Hachette, 1858, octavo, tome 18.djvu/155

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le temps au maréchal de rentrer dans son appartement, avec convention que Torcy porteroit la parole.

Le hasard fit que nous trouvâmes le maréchal de Villeroy seul dans sa chambre. Dès qu’il nous vit il se douta de quelque chose d’extraordinaire, et nous demanda ce qui nous amenoit ainsi tous deux. Nous avancions cependant vers lui ; il répéta sa demande ; le valet de chambre qui nous avoit ouvert la porte sortit, et avant de nous asseoir, Torcy, comme pour lui répondre commença à lui faire entendre le sujet de notre visite. Au premier mot que le maréchal en sentit : « Messieurs, dit-il, je suis votre serviteur, mais point de cabale, vous ferez sans moi tout ce que bon vous semblera. Mais d’aller ainsi en cohorte, c’est ce que vous ne me persuaderez point, et je ne sais d’où cette idée vous est entrée dans la tête. Je vois sur l’abbé Dubois tout ce qu’il y a à voir, j’en parle peut-être autant, et plus fortement que vous au régent, mais tète à tète, car autrement ce sont cabales que je n’entends point, et où vous ne me ferez jamais entrer. » Delà, il se met en colère, balbutie, interrompt, ne veut rien écouter, et nous éconduit avec hauteur. Hors de sa chambre, nous nous regardâmes Torcy et moi, confondus de la sottise et de l’impertinence de l’homme, et Torcy découragé ne jugea pas à propos de voir M. le Duc, ni d’aller plus loin ; il convint que j’avois mieux jugé du maréchal que lui. « Mais après tout, me dit-il, il n’y a rien de gâté, c’est un coup d’épée dans l’eau. » Pour moi, je n’avois été qu’acolyte sans qu’il me fût sorti un seul mot de la bouche.

Trois jours après, allant travailler avec M. le duc d’Orléans, je le trouvai d’abordée, instruit par le maréchal de Villeroy qui, en vil courtisan qu’il étoit, avec toute son arrogance et sa morgue, étoit allé se faire un mérite de son refus et sacrifier son ancien ami Torcy, qui toutefois le connoissoit bien, et ne l’estimoit guère, pour me nuire, et me perdre s’il avoit pu. Quelque surpris que je fusse d’une si