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Page:Saint-Simon - Mémoires, Chéruel, Hachette, 1858, octavo, tome 18.djvu/156

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basse et si noire trahison, je dis à M. le duc d’Orléans qu’après tout ce que je lui avois si souvent fait toucher au doigt de l’abbé Dubois sans aucun fruit qu’une conviction inutile, et pénétré du tort extrême que cet homme faisoit à Son Altesse Royale et aux affaires pour son unique intérêt, il étoit vrai que j e m’en étois ouvert à Torcy, qui, par ce qu’il voyoit du secret de la poste, en étoit encore plus touché et plus convaincu que moi ; que la raison d’État si manifeste, et notre attachement particulier pour sa personne nous avoit fait chercher quelque moyen de lui faire enfin une impression utile dont il nous devoit savoir gré, et sentir la différence de gens qui comme Torcy et moi lui disions ce que nous voyions sur l’abbé Dubois, sans jamais crier contre l’autorité dont il abusoit, et qui uniquement, poussés par l’intérêt pressant de l’État et le sien, voulions lui faire une impression plus forte, d’avec un chien enragé comme le maréchal de Villeroy, qui crioit à tout le monde contre le maître et le valet, ravi du mécontentement public qu’il ne cherchoit qu’à augmenter, et qui, au lieu de chercher comme nous à y apporter un remède respectueux, secret, utile, venoit à lui faire le bon valet, et un infâme et misérable rapport pour l’éloigner de ses vrais serviteurs, et en profiter s’il pouvoit à sa ruine.

Cette réponse ferme et sans balancer fit une si grande impression sur M. le duc d’Orléans qu’il se rasséréna tout d’un coup, et me parla du maréchal de Villeroy avec le dernier mépris, qui fut tout ce qu’il remporta d’une délation si misérable. M. le duc d’Orléans n’en conserva aucune mauvaise impression contre moi ni contre Torcy, à qui il parla la première fois qu’il le vit en mêmes termes du maréchal de Villeroy. Je ne fis jamais depuis aucun semblant au maréchal de sa perfidie ni Torcy non plus, et il ne nous a jamais aussi reparlé de notre proposition. Au sortir d’avec le régent, j’allai trouver Torcy, je lui rendis ce qui se venoit de passer entre ce prince et moi, et quoi que je lui pusse dire pour le