Page:Saint-Simon - Mémoires, Chéruel, Hachette, 1858, octavo, tome 18.djvu/167

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puissance ni aucun particulier ne s’en douta. Depuis longtemps l’abbé Dubois avoit fermé la bouche à mon égard à son maître sur les affaires étrangères, et plus étroitement encore depuis ce que j’ai raconté ici il n’y a pas longtemps. Cela n’empêchoit pourtant pas qu’il n’en échappât toujours à M. le duc d’Orléans quelque bribe avec moi, mais avec peu de détail et de suite, et de mon côté je demeurois fort réservé. Étant allé les premiers jours de juin pour travailler avec M. le duc d’Orléans, je le trouvai qui se promenoit seul dans son grand appartement. Dès qu’il me vit : « Ho çà ! me dit-il me prenant par la main, je ne puis vous faire un secret de la chose du monde que je désirois et qui m’importoit le plus et qui vous fera la même joie ; mais je vous demande le plus grand secret. » Puis, se mettant à rire : « Si M. de Cambrai savoit que je vous l’ai dit, il ne me le pardonneroit pas. » Tout de suite il m’apprit sa réconciliation faite avec le roi et la reine d’Espagne ; le mariage du roi et de l’infante, dès qu’elle seroit nubile, arrêté, et celui du prince des Asturies conclu avec Mlle de Chartres.

Si ma joie fut grande, mon étonnement la surpassa. M. le duc d’Orléans m’embrassa, et après les premières réflexions des avantages personnels pour lui d’une si grande affaire, et sur l’extrême convenance du mariage du roi, je lui demandai comment il avoit pu faire pour la faire réussir, surtout le mariage de sa fille. Il me dit que tout cela s’étoit fait en un tournemain, que l’abbé Dubois avoit le diable au corps pour les choses qu’il vouloit absolument ; que le roi d’Espagne avoit été transporté que le roi son neveu demandât l’infante ; et que le mariage du prince des Asturies avoit été la condition sine qua non du mariage de l’infante qui avoit fait sauter le bâton au roi d’Espagne. Après nous être bien étendus et bien éjouis [1] là-dessus, je lui dis qu’il falloit que le secret du mariage de sa fille fût entièrement gardé jusqu’au

  1. Il y a dans le manuscrit éjouis et non réjouis.