Page:Saint-Simon - Mémoires, Chéruel, Hachette, 1858, octavo, tome 18.djvu/183

La bibliothèque libre.
Cette page n’a pas encore été corrigée

Belle-Ile disoit vrai en tout, excepté sur la sincérité d’une âme si double et offensée ; mais que ne me pas prêter à un raccommodement offert donneroit beau jeu à Dubois auprès de M. le duc d’Orléans, qui seroit également embarrassé et importuné de ce contraste, et qui surtout en mon absence, je veux dire Dubois, [en] sauroit bien profiter ; de plus, comment éviter le commerce réglé de lettres avec l’homme chargé seul des affaires étrangères, et comment le soutenir avec un homme avec qui on est brouillé et avec qui on n’a pas voulu se raccommoder ? Ces considérations si évidentes ployèrent ma raideur ; mais je voulus savoir ce que c’étoit que les conditions dont il m’avoit parlé. Belle-Ile me dit qu’elles n’étoient pas difficiles : d’oublier de part et d’autre tout ce qui s’étoit passé, ne nous en jamais parler, promesse de ne plus rien dire en public contre lui ni en particulier à M. le duc d’Orléans, nous revoir et traiter ensemble à l’avenir avec ouverture et liberté, et que je verrois que Dubois, ravi de n’avoir plus à me compter au nombre de ses ennemis, irait au-devant de tout ce qui me pourroit plaire. Belle-Ile, tout de suite, sans me laisser le temps de parler, me fit l’analyse de ces conditions telle que je la sentois moi-même : la nécessité du raccommodement avec un homme qui me l’offroit, avec qui il falloit concerter tout ce qui pouvoit regarder mon ambassade, et avoir avec lui un commerce de lettres réglé toutes les semaines, tant qu’elle dureroit, sans possibilité de le faire passer par un autre ; le raccommodement fait, l’indécence de parler mal en public d’un homme avec qui on s’est raccommodé, enfin d’en parler mal à M. le duc d’Orléans en particulier ; l’expérience de l’inutilité, même du danger, me devoit convaincre là-dessus et la raison me démontrer qu’il étoit déjà le maître des affaires, des grâces de tout l’intérieur ; combien plus l’alloit-il devenir quand il seroit élevé à la pourpre, qui peut-être étoit déjà en chemin par un courrier ! À l’égard de la bonne foi, quelque difficulté que je pusse avoir d’y prendre confiance,