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Page:Saint-Simon - Mémoires, Chéruel, Hachette, 1858, octavo, tome 18.djvu/246

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avoit suivi, étoit de rendre la première visite au ministre chargé des affaires étrangères et aux conseillers d’État quand il y en avoit, qui est ce que nous connoissons ici sous le nom de ministres. Là-dessus il s’emporta, bavarda, brava sur la dignité du roi, et ne me laissa plus loisir de rien dire. J’abrégeai donc la visite et m’en allai.

Quelque étranges que me semblassent ces ordres si nouveaux et verbaux, je voulus en parler au duc de Saint-Aignan, surtout à Amelot, qui en furent fort étonnés, et qui tous deux, ainsi que les précédents ambassadeurs, avoient fait tout le contraire, et trouvèrent extravagante la préséance sur le nonce en quelque occasion que ce fût. Amelot me dit de plus que je jouerois à essuyer tous les dégoûts possibles et à ne réussir à rien si je refusois la première visite au ministre des affaires étrangères, car pour les conseillers d’État ce n’étoit plus qu’un nom, et la chose tombée en désuétude ; mais que je devois aussi la première visite aux trois charges [1], qui seroient très justement offensés et très piqués si je leur refusois ce que tous ceux qui m’avoient précédé leur avoient rendu, et que je me gardasse bien de le faire si je ne voulois pas demeurer seul dans mon logis, et me faire tourner le dos au palais par tout ce que j’y trouverois de grands. J’expliquerai ailleurs ce que c’est que ces trois charges.

De cet avis d’Amelot, je compris aisément la raison de ces ordres nouveaux et verbaux. Le cardinal me vouloit faire échouer en Espagne et me perdre ici : en Espagne, en débutant par offenser tout ce qui étoit de plus grand, et le ministre par lequel seul j’aurois à passer pour tout ce qui regardoit mon ambassade ; en attirer les plaintes ici, sûr de n’avoir rien écrit de ces ordres, nier me les avoir donnés, me désavouer, et en tirer contre moi tout le parti possible avec un prince qui n’auroit osé lui imposer, et soutenir que

  1. C’est-à-dire aux trois grands officiers, au majordome-major du roi, au sommelier du corps et au grand écuyer.