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Page:Saint-Simon - Mémoires, Chéruel, Hachette, 1858, octavo, tome 18.djvu/249

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de Mancera, le comte de Montijo, tous grands d’Espagne. Ce duc d’Ossone, ambassadeur ici, étoit donc un fort grand seigneur qui s’y montra très magnifique et très poli, mais il n’étoit que cela : on sut que M. le duc d’Orléans avoit résolu de lui donner le cordon bleu. Je m’exprime de la sorte parce que le roi, n’étant pas encore chevalier de son ordre, et ne faisant que le porter jusqu’à ce qu’il reçût le collier le lendemain de son sacre, il ne pouvoit faire de chevalier de l’ordre. Le duc d’Ossone ne pouvoit donc qu’avoir parole de l’être quand le roi en feroit, à quoi on voulut ajouter une chose, jusqu’alors sans exemple, dans le cas où étoit le roi, qui fut de lui faire porter l’ordre en attendant qu’il pût être nommé ; on crut et il étoit vrai que M. le duc d’Orléans étant régent et maître des grâces, il devoit marquer par toute la singularité de celle-ci combien il étoit touché de l’honneur du mariage de sa fille.

Sur ce premier exemple, le duc de Lauzun me pressa fort de demander aussi le cordon bleu comme une décoration convenable à porter en Espagne, et qui, étant grâce d’ici, ne pourroit préjudicier à celles que je pouvois attendre d’Espagne pour mes enfants ; mais je n’en voulus rien faire. Cette impatience de porter l’ordre, qui, dans la suite, ne pouvoit me manquer, me répugna. Je n’avois désiré cette ambassade que pour faire mon second fils grand d’Espagne, et, si l’occasion s’en offroit, de faire donner la Toison à l’aîné. Y réussissant et ayant en même temps pris le cordon bleu, cela me parut un entassement trop avide ; d’ailleurs on ne pouvoit faire en France d’autre grâce au duc d’Ossone que celle-là, et moi j’en espérois une d’Espagne bien autrement considérable ; ainsi je ne fus pas tenté un moment du cordon bleu. Qui m’eût dit alors que je ne serois pas de la première promotion qui s’en feroit m’auroit bien surpris ; qui y eût ajouté que je serois de la suivante, où nous ne serions que huit avec Cellamare, les deux fils du duc du Maine et le duc de Richelieu, m’auroit bien étonné davantage.