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Page:Saint-Simon - Mémoires, Chéruel, Hachette, 1858, octavo, tome 18.djvu/250

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Le cardinal Dubois pressoit ardemment mon départ et, en effet, il n’y avoit plus de temps à perdre. Il envoyoit sans cesse hâter les ouvriers qui travailloient à tout ce qui m’étoit nécessaire, fâché peut-être qu’il y en eût un si prodigieux nombre, qu’il ne pût trouver à les augmenter. Il ne s’agissoit plus de sa part qu’à me remettre les lettres dont je devois être chargé ; il attendit à la dernière extrémité du départ pour le faire ; c’est-à-dire à la veille même que je partis : on en verra bientôt la raison. Elles étoient pour Leurs Majestés Catholiques, pour la reine douairière, à Bayonne, et pour le prince des Asturies, tant du roi que de M. le duc d’Orléans. Mais bien avant de me les remettre, M. le duc d’Orléans me dit qu’il en écriroit deux pareilles au prince des Asturies avec cette seule différence qu’il le traiteroit de neveu dans l’une, et dans l’autre de frère et de neveu, et que je tâchasse de faire passer la dernière, ce qu’il souhaitoit passionnément ; mais que, si après tout, j’y trouvois trop de difficulté, que je ne m’y opiniâtrasse point, et que je donnasse la première au prince des Asturies.

J’eus lieu de croire que ce fut encore un trait du cardinal Dubois pour me jeter dans quelque chose de personnellement désagréable à M. le duc d’Orléans et en faire usage. M. le duc d’Orléans étoit l’homme du monde qui avoit le moins de dignité et d’attachement à ces sortes de choses. Ce traitement de frère étoit un traitement d’égal, que le feu roi n’avoit relâché, que depuis peu, de donner aux électeurs princes, car M. de Savoie avoit depuis longtemps le rang de tête couronnée pour ses ambassadeurs ; à prendre comme étranger il n’y avoit pas de proportion entre le fils aîné, héritier présomptif de la couronne d’Espagne, et un petit-fils de France, car la régence n’ajoutoit rien à son rang ni [à ses] traitements. À prendre comme famille, ils étoient l’un et l’autre petits-fils de France ; mais, outre que le prince des Asturies avoit l’aînesse, il étoit fils de roi et héritier de la