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Page:Saint-Simon - Mémoires, Chéruel, Hachette, 1858, octavo, tome 18.djvu/262

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et n’en fis pas même le semblant. La duchesse de Liñarez et d’Adoncourt entrèrent seuls un peu dans la conversation. Je lui présentai mes enfants et ces messieurs qui étoient avec moi à qui elle dit quelque chose, cherchant à leur parler à tous avec un air d’attention et de bonté et en fort bon françois. Elle étoit fort grande, droite, très bien faite, de grand air, de bonne mine, qui laissoit voir qu’elle avoit eu de la beauté. Elle me demanda beaucoup des nouvelles de Madame. Tout son habillement étoit noir et sa coiffure avec un voile, mais qui montroit des cheveux, et sa taille paraissoit aussi. Ce vêtement n’étoit ni françois ni espagnol, avec une longue queue dont la duchesse de Liñarez tenoit le bout, mais fort lâche. C’étoit un habit de veuve, mais mitigé avec une longue et large attache devant le haut du corps, de très beaux diamants. Pour la duchesse de Liñarez, son habit m’effraya : il étoit tout à fait de veuve et ressembloit en tout à celui d’une religieuse. Je ne dois pas oublier que je présentai aussi à la reine les compliments et une lettre de M. le duc d’Orléans, à quoi elle répondit avec une grande politesse.

Au sortir de l’audience, elle me fit inviter à dîner, pour le lendemain, dans une maison de Bayonne où le gros de ses officiers demeuroit et où elle a aussi logé. J’y allai, sur l’exemple du comte de San Estevan del Puerto, allant au congrès de Cambrai, et tout à l’heure, du duc d’Ossone venant en France. Le sieur de Bruges, qui étoit chef de la maison de la reine douairière, fit les honneurs du festin très bon et très magnifique, où se trouva l’évêque de Bayonne, d’Adoncourt, et tout ce qui m’accompagnoit de principal. J’eus une seconde audience de la reine pour la remercier du repas et prendre congé d’elle. La conversation fut plus longue et plus familière que la première fois ; elle finit par m’exposer le très triste état où elle se trouvoit, faute de tout payement d’Espagne depuis des années, et me prier d’en parler à Leurs Majestés Catholiques et de