Page:Saint-Simon - Mémoires, Chéruel, Hachette, 1858, octavo, tome 18.djvu/342

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Cela même me confirma dans la pensée que j’avois toujours eue que les deux lettres de M. le duc d’Orléans, dont je fus chargé pour le prince des Asturies, l’une dans le style ordinaire, l’autre avec l’innovation du mot de frère, étoit une friponnerie du cardinal Dubois, qui espéroit bien que je ne ferois point passer cette dernière, et de s’en avantager contre moi auprès de M. le duc d’Orléans, d’autant que ce prince, tout en me marquant son désir là-dessus qui lui étoit enjoint, ne me recommanda rien plus que de ne rien hasarder, de ne point insister à la moindre difficulté que j’y rencontrerois, de la retirer et de présenter l’autre, au lieu que le cardinal ne me recommanda rien davantage que de la faire passer, jusqu’à me piquer d’honneur sur mon attachement pour M. le duc d’Orléans, sur ce premier moyen de lui témoigner ma reconnoissance dans cette ambassade, et de marquer mon adresse et mon esprit par un si agréable début. On a vu que je n’eus besoin ni de l’un ni de l’autre, et que cette lettre passa doux comme lait, sans même qu’il en fût dit un seul mot. Si on l’avoit refusée, ce petit dégoût se seroit passé dans l’intérieur et le secret, et c’est sûrement ce qui le fit entreprendre au cardinal Dubois, au lieu que, s’il eût conçu les chimères de La Fare, leur refus auroit été public, et c’est ce qui empêcha le cardinal Dubois de les former et de m’en charger, quelque joie qu’il eût eue de me les voir péter dans la main. Ce petit fait méritoit d’être expliqué, d’autant que dans la suite il se verra encore une prétention fort singulière de La Fare, qui, comme celle-ci, périt pour ainsi dire avant que de naître.

Quelque occupé que j’eusse été depuis mon arrivée, en affaires, en cour, en cérémonial, en fonctions, en fêtes, en festins, je n’avois pas laissé de faire plus de quatre-vingts visites avant le départ de la cour, après lequel j’en fis encore et en reçus beaucoup jusqu’au mien départ quatre jours après la cour : je m’étois particulièrement proposé de plaire, non seulement à Leurs Majestés Catholiques, mais à leur