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Page:Saint-Simon - Mémoires, Chéruel, Hachette, 1858, octavo, tome 18.djvu/406

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vertu étoit entière. Elle mourut un peu étrangement, et il passoit publiquement pour l’avoir empoisonnée par jalousie, jusque-là que la reine le lui a souvent reproché. Il en avoit un fils unique qui portoit le nom de prince de Peltorano, bon garçon, point du tout méchant, et ayant même de la valeur ; mais étourdi, fou, débauché à l’excès. Son père, en ne lui donnant rien ou fort peu par avarice, l’avoit rendu escroc, et il le fut et grand dissipateur toute sa vie. Le duc de Popoli voyant ses instructions, exhortations, répréhensions, punitions inutiles, imagina un moyen de le contenir. Il étoit compatriote et ami intime du vieux duc de Giovenazzo, père de Cellamare ; il lui demanda en grâce de tenir son fils à son côté, de le mener avec lui faire ses visites, et de le veiller et tenir de près comme il auroit pu faire lui-même. Il crut que, quel que fût son fils, le respect et la présence de ce vieillard le retiendroit, lequel pour son esprit, ses talents, les places qu’il avoit remplies étoit dans une grande considération et respecté de tout le monde. Ce bonhomme eut assez d’amitié pour le duc de Popoli, pour lui accorder sa demande, en sorte que le jeune Peltorano étoit chez lui et avec lui du matin au soir, et l’accompagnoit partout où il alloit, et qu’il n’avoit pas un instant de libre. Voici de quoi il s’avisa :

Il sut par hasard qu’un seigneur, dont j’ai oublié le nom, ne seroit pas sûrement chez lui, et il proposa au duc de Giovenazzo de l’aller voir, parce qu’il le visitoit quelquefois, et qu’il y avoit du temps qu’il n’y avoit été. Le bonhomme le loua de cette attention et de son désir d’aller voir un homme auprès duquel il y avoit toujours à apprendre, et il lui dit qu’il l’y mèneroit l’après-dînée. Peltorano, sûr de son fait, prit ses précautions. Les maisons de Madrid, même les plus belles, n’ont point de cours, au moins y sont-elles fort rares. Les carrosses arrêtent dans la rue où on met pied à terre ; on entre par la porte qui est comme nos portes cochères dans un lieu large et long, qui ne reçoit de jour que par la porte, et qui a des recoins très obscurs, et l’escalier est au