Page:Saint-Simon - Mémoires, Chéruel, Hachette, 1858, octavo, tome 18.djvu/407

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fond par lequel on monte dans les appartements. Arrêtés à la porte de ce seigneur, on leur vint dire qu’il n’y étoit pas ; tout aussitôt Peltorano pria le vieux duc de lui permettre de descendre un moment pour un besoin dont il étoit fort pressé, saute à bas et entre dans ce porche couvert ; le temps qu’il y fut parut un peu long au bonhomme, et il étoit prêt d’envoyer voir s’il ne se trouvoit point mal, lorsque Peltorano revint et monta en carrosse tranquillement avec beaucoup d’excuses. Comme le carrosse partoit et se mettoit au pas, comme on va dans Madrid, une courtisane sort du porche, se jette au carrosse, se prend par les mains à la portière, crie et injurie Peltorano qu’il l’escroque, qu’il lui a donné ce rendez-vous, qu’il lui a promis quatre pistoles, et qu’il s’en va sans la payer. Le vieux duc tout effaré la veut chasser ; elle crie plus fort, qu’elle sera payée, qu’elle ne quittera point prise qu’elle ne le soit, et qu’elle criera à tout le peuple qu’ils la veulent affronter ; elle fit tant de bruit, et avec une telle résolution, que le bonhomme, comblé de honte, de colère et d’indignation, tira quatre pistoles de sa poche qu’il lui donna pour se délivrer d’elle, tandis que le Peltorano, qui n’avoit pas un sou sur lui, s’étoit tapis dans le coin du carrosse, et riait sous cape du désarroi du bon vieillard, par qui il s’étoit fait mener à son rendez-vous, et à qui encore il le faisoit payer. Le duc de Giovenazzo, délivré pour son argent de cette effrontée, s’en alla droit chez le duc de Popoli, à qui il conta son aventure, lui remit son fils pour ne plus s’en jamais mêler, et lui déclara qu’il ne s’exposeroit pas à un second affront. Le Peltorano fut bien pouillé et chapitré, ne fit qu’en secouer les oreilles, et n’en devint pas plus sage ; il ne fit qu’en rire et conter son joli exploit.

C’est ce garnement-là qui épousa la fille du maréchal de Boufflers, comme on l’a vu en son lieu, et que je trouvai à Madrid dame du palais de la reine, et fort bien avec elle, et avec tout le monde sur un pied d’estime et de considération.