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Page:Saint-Simon - Mémoires, Chéruel, Hachette, 1858, octavo, tome 18.djvu/408

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Son beau-père en avoit beaucoup pour elle, et son mari aussi, qui la laissoit vivre à la française, voir qui elle vouloit, et donner presque tous les jours à souper, où mes enfants et ceux qui étoient venus avec moi soupoient souvent, et passoient leurs soirées jusque fort tard, avec fort bonne compagnie d’étrangers dont le mari profitoit aussi, et ils y jouoient quelquefois. Le duc de Popoli, qui ne logeoit pas avec eux, mais au palais, le savoit bien, et le trouvoit bon, la reine aussi, quoique là-dessus assez difficile ; mais ils connoissoient le mari qui avoit fait plus d’une fois d’étranges présents à sa femme, et ils lui vouloient adoucir les malheurs d’avoir un tel mari. À la fin depuis mon départ ses maux mal guéris et repris augmentèrent ; elle se tourna entièrement à la dévotion jusque-là qu’elle voulut quitter sa place et se retirer dans un couvent. La reine qui l’aimoit et la plaignoit la retint tant qu’elle put ; mais enfin, vaincue par ses prières, elle y consentit, mais à condition qu’elle irait dans les descalceales reales [1], dans un appartement qu’elle lui feroit accommoder, qu’elle viendroit voir la reine, et que la reine l’irait voir par la communication du palais à ce couvent, qu’elle garderoit toujours sa place sans en faire de fonctions pour les reprendre quand il lui plairoit, et ajouta une pension aux appointements de sa place. Elle fut généralement regrettée de tout le monde. Sa retraite ne fut que de deux ou trois ans qu’elle y passa dans la plus grande piété et beaucoup de souffrances, au bout desquels elle y mourut, tandis que son mari, devenu très riche par la mort de son père, dissipoit les trésors qu’il avoit amassés. Il eut dans la suite des aventures fâcheuses qui le firent enfermer, et longtemps, plus d’une fois en Espagne et en Italie.

  1. Abbaye de fondation royale de religieuses déchaussées. Saint-Simon a écrit descalceales pour indiquer des religieuses déchaussées ; mais ce mot ne se trouve pas dans les lexiques espagnols. Les précédents éditeurs l’ont changé en descalcez, qui veut dire nudité des pieds, et, par extension, ordre de moines déchaussés. La véritable expression pour indiquer des religieuses déchaussées serait descalzas.