Page:Saint-Simon - Mémoires, Chéruel, Hachette, 1858, octavo, tome 18.djvu/67

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très petit nombre, connoissoient trop la légèreté de son étoffe pour perdre leur temps avec lui.

Dangeau étoit un esprit au-dessous du médiocre, très futile, très incapable en tout genre, prenant volontiers l’ombre pour le corps, qui ne se repaissoit que de vent, et qui s’en contentoit parfaitement. Toute sa capacité n’alloit qu’à se bien conduire, ne blesser personne, multiplier les bouffées de vent qui le flattoient, acquérir, conserver et jouir d’une sorte de considération, sans vouloir s’apercevoir qu’à commencer par le roi, ses vanités et ses fatuités divertissoient souvent les compagnies, ni des panneaux où on le faisoit tomber souvent là-dessus. Avec tout cela, ses Mémoires sont remplis de faits que taisent les gazettes, gagneront beaucoup en vieillissant, serviront beaucoup à qui voudra écrire plus solidement, pour l’exactitude de la chronologie, et pour éviter confusion. Enfin ils représentent, avec la plus désirable précision, le tableau extérieur de la cour, des journées, de tout ce qui la compose, les occupations, les amusements, le partage de la vie du roi, le gros de celle de tout le monde, en sorte que rien ne seroit plus désirable pour l’histoire que d’avoir de semblables Mémoires de tous les règnes, s’il étoit possible, depuis Charles V, qui jetteroient une lumière merveilleuse parmi cette futilité sur tout ce qui a été écrit de ces règnes.

Encore deux mots sur ce singulier auteur. Il ne se cachoit point de faire ce journal, parce qu’il le faisoit de manière qu’il n’en avoit rien à craindre ; mais il ne le montroit pas ; on ne l’a vu que depuis sa mort. Il n’a point été imprimé jusqu’à présent, et il est entre les mains du duc de Luynes, son petit-fils, qui en a laissé prendre quelques copies. Dangeau, qui ne méprisoit rien, et qui vouloit être de tout, avoit brigué et obtenu de bonne heure une place dans l’Académie française, dont il est mort doyen, et une dans l’Académie des sciences, quoiqu’il ne sût rien du tout en aucun genre, quoiqu’il s’enorgueillît d’être de ces compagnies et de fréquenter