Page:Saint-Simon - Mémoires, Chéruel, Hachette, 1858, octavo, tome 19.djvu/129

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mais que je n’en étois pas moins persuadé qu’ils se pouvoient enfreindre en faveur d’un objet aussi grand que l’étoit le dernier degré de solidité dans un cas aussi singulier, et que je regarderois comme le comble des grâces de Leurs Majestés pour M. le duc d’Orléans, et de la certitude de ce retour si précieux, si cher et si passionné pour lui, de l’honneur de leur amitié, en même temps la marque la plus éclatante de l’intime et indissoluble union des deux branches royales, et des deux couronnes à la face de toute l’Europe, si Leurs Majestés vouloient permettre qu’il en fût usé dans ce mariage, comme Sa Majesté avoit été elle-même témoin qu’il en avoit été usé au mariage de Mgr le duc de Bourgogne, qui ne fut que si longtemps après avec Mme la duchesse de Bourgogne.

Le roi et la reine me laissèrent tout dire sans m’interrompre. Je le pris à bon augure. Ils se regardèrent, puis le roi lui dit : « Qu’en dites-vous ? — Mais vous-même, monsieur, » répondit-elle. Là-dessus, je repris la parole, et leur dis que je ne voulois point les tromper ; que je leur avouois que je n’avoir aucun ordre là-dessus ; que cette matière n’avoit été traitée avec moi, ni de bouche avant mon départ, ni par écrit dans mes instructions, ni depuis mon départ de Paris dans aucune dépêche ; que ce que je prenois la liberté de leur représenter là-dessus, venoit uniquement de moi et de mes réflexions et qu’en cela je croyois ne parler pas moins avec l’attachement d’un vrai serviteur des deux couronnes, en vrai François, en bon Espagnol, qu’en serviteur de M. le duc d’Orléans, par l’effet qui en résulteroit dans les deux monarchies et dans toute l’Europe ; qu’on y désespéreroit alors de pouvoir opérer des conjonctures qui pussent faire regarder de bon œil ce mariage comme possible à séparer, et par conséquent à travailler profondément et à tout ce qui pourroit y conduire ; enfin que toute l’Europe conjurée pour rompre l’union des deux couronnes, dont la durée intime opéreroit nécessairement toute la grandeur et