Page:Saint-Simon - Mémoires, Chéruel, Hachette, 1858, octavo, tome 19.djvu/141

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scandalisé ; j’en craignis donc le contre-coup en France, et de recevoir des reproches de mon silence et de ma tolérance là-dessus. Pour la tolérance, je n’avois rien à y faire ; mais pour le silence, je le rompis. J’en écrivis donc un petit mot au cardinal Dubois, mais court et fort en douceur. Il ne m’y répondit pas de même sur La Pare, et lui écrivit de façon qu’il n’osa plus parler de caractère. Je crois que cette lettre ne m’accommoda pas avec lui.

Cette conduite avec moi, à qui il avoit toute l’obligation de cet agréable voyage, et de la Toison qu’il lui valoit, m’engagea à en écrire à Belle-Ile, à la prière duquel j’avois demandé La Fare à M. le duc d’Orléans pour aller de sa part en Espagne. Je lui parlai au long de sa chimère d’ambassade, et ce que j’avois tu au cardinal Dubois de la grandesse qu’il vouloit ; enfin de sa conduite avec moi. Belle-Ile avoit trop d’esprit et de sens pour ne pas voir et sentir tout ce que c’étoit que ce procédé et ces chimères, et me le manda franchement, et qu’il en écrivoit de même à La Fare sur tout ce qui me regardoit. Ce ne fut pourtant que tout à la fin de mon séjour en Espagne que La Fare reprit peu à peu ses véritables errements avec moi, et depuis notre retour en France nous avons été amis. Il a bien su depuis pousser sa fortune, et par de bien des sortes de chemins, toutefois pourtant sans intéresser son honneur. Il est étonnant combien l’ambition ouvre l’esprit le plus médiocre, et combien il est des gens à qui tout réussit, dont on ne se douteroit jamais. J’ai voulu raconter toute cette aventure de suite. Retournons chez le duc del Arco d’où nous sommes partis.