Page:Saint-Simon - Mémoires, Chéruel, Hachette, 1858, octavo, tome 19.djvu/146

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du voyage. Il lui parut des rougeurs sur le visage qui se tournèrent en érésipèle, et il s’y joignit un peu de fièvre. J’allai au palais, dès que la cour fut arrivée, où je trouvai Leurs Majestés alarmées. Je tâchai de les rassurer sur ce que la princesse avoit eu la rougeole et la petite-vérole, et qu’il n’étoit pas surprenant qu’elle se ressentit de la fatigue d’un si long voyage et d’un changement de vie tel qu’il lui arrivoit. Mes raisons ne persuadèrent point, et le lendemain, je trouvai leur inquiétude augmentée. Ce contretemps les contraria fort. Les fêtes préparées furent suspendues, et le grand bal déjà tout rangé dans le salon des grands demeura longtemps en cet état. La reine me demanda si j’avois vu la princesse ; je répondis que j’avois été savoir de ses nouvelles à la porte de son appartement. Mais elle m’ordonna de la voir et le roi aussi.

Rien n’est plus opposé aux usages d’Espagne, où un homme, même très proche parent, ne voit jamais une femme au lit. Des raisons essentielles m’avoient fait obtenir qu’on n’y eût point d’égard au coucher des noces, mais je n’en trouvois point ici pour les violer de nouveau, et d’une façon encore qui m’étoit personnelle, et dont la distinction choqueroit les Espagnols contre la vanité à laquelle ils l’attribueroient. Je m’en excusai donc le plus qu’il me fut possible, sans pouvoir faire changer Leurs Majestés là-dessus. Les trois jours suivants ils me demandèrent si j’avois vu la princesse. J’eus beau tergiverser, ils savoient que je ne l’avois pas vue, et que la duchesse de Monteillano, venue me parler à la porte de la chambre, n’avoit pu me persuader d’y entrer. Ils m’en grondèrent l’un et l’autre, et me dirent qu’ils vouloient que je visse en quel état elle étoit, les remèdes et les soins qu’on lui donnoit. Le roi y alloit une ou deux fois par jour, et la reine bien plus souvent, et ne dédaignoit pas de lui présenter elle-même ses bouillons et ce qu’elle avoit à prendre. Je les assurai l’un et l’autre que, si ce n’étoit que pour [que] je pusse rendre compte à M. le duc d’Orléans de