Page:Saint-Simon - Mémoires, Chéruel, Hachette, 1858, octavo, tome 19.djvu/192

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à sa destination première, et de l’accorder au duc de Saint-Aignan ; et je dirois, si je l’osois, qu’un tel souvenir si dignement placé feroit un honneur infini à la gloire de Sa Majesté ; que comblé comme je l’étois de ses bienfaits, j’oserois encore moins hasarder ma très humble et très instante intercession, mais que l’extrême désir que j’en avois me forçoit d’avouer que ce seroit pour moi la plus grande satisfaction de ma vie, égale, pour le moins, à celle que je ressentois des grâces qu’elle avoit daigné de répandre sur moi. Pendant cette reprise j’aperçus le roi piétiner, comme il faisoit toujours quand il vouloit finir l’audience ; et quand j’eus achevé, au lieu de me répondre, il se mit à tirer la robe de la reine, qui étoit le signal de me congédier, ce qu’elle fit fort poliment quelques moments après. Je sortis pénétré de douleur d’un silence et d’une fin d’audience de si mauvais augure. Je descendis tout de suite dans la cavachuela du marquis de Grimaldo, à qui je fis le récit de ce qui venoit de se passer. Il n’en fut point surpris, et me répéta les mêmes choses qu’il m’avoit dites du peu de disposition qu’il avoit prévu que je trouverois. Au lieu de me plaindre du peu de digne souvenir que j’avois trouvé dans le roi d’Espagne de son gouverneur et de sa famille, au lieu de prier Grimaldo de faire quelque effort, je crus plus efficace et moins embarrassant pour lui de me contenter de lui exposer amèrement les motifs de mon désir, et de l’affliction où me jetoit le mauvais succès qu’il avoit eu, parce que je ne pouvois interpréter un silence si opiniâtre, suivi incontinent de l’impatience de finir l’audience, que comme un refus tacite. Je me répandis là-dessus si pathétiquement avec Grimaldo, sans lui faire même aucune sorte d’insinuation, qu’il me dit enfin de la meilleure grâce du monde qu’il ne manqueroit pas de prendre son temps de parler à Leurs Majestés de la douleur où il m’avoit vu au sortir de cette audience, et de faire tout ce qui lui seroit possible pour le duc de Saint-Aignan. Je lui