Page:Saint-Simon - Mémoires, Chéruel, Hachette, 1858, octavo, tome 19.djvu/199

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de la sécheresse de ses manières avec elles, sur quoi je les suppliai de me pardonner si je leur disois que c’étoit la faute de Leurs Majestés plus que d’une enfant qui ne savoit ce qu’elle faisoit, et qu’au lieu de l’accoutumer par leur trop de bonté à ne se refuser aucun caprice, rien n’étoit plus pressé ni plus important que de les réprimer, de lui imposer, de lui faire sentir tout ce qu’elle montroit ignorer à leur égard, et même à l’égard de ses dames ; enfin l’accoutumer au respect et à la crainte qu’elle leur devoit, à lire dans leurs yeux et jusque dans leur maintien leurs volontés, pour s’y conformer à l’instant et avec un air comme si c’étoit la sienne par l’empressement à leur obéir et à leur plaire. Tout cela fut encore poussé de ma part et raisonné de la leur assez longtemps, après quoi je me retirai. Je n’allois plus chez la princesse, et je le dis à Leurs Majestés, parce que j’en voyois l’inutilité. Je ne reparlai plus de bal à leur retour de la chasse, au passage de leur appartement dans la crainte de rebuter le roi. Le surlendemain je me trouvai à leur passage pour la chasse. Au sortir de l’appartement, la reine me dit qu’il n’y auroit point de bal ; que l’ordre étoit donné d’ôter le préparatif qui étoit rangé depuis si longtemps, en me faisant des signes d’en parler encore au roi. Je lui dis donc que j’en serois désolé par le plaisir que je m’en étois fait, et que si j’osois je lui demanderois ce bal comme une grâce.

Ce dialogue conduisit à ce petit degré qui étoit tout contre. À l’entrée, la reine me fit signe de suivre. Je me fourrai donc à côté de celui qui lui portoit la queue, lui parlant haut de ce bal pour que le roi, qui marchoit devant elle, pût entendre. Un moment après elle se tourna à moi avec un air que je dirois penaud si on pouvoit hasarder ce terme, et me fit signe de ne plus rien dire. Apparemment que le roi lui en avoit fait quelqu’un là-dessus, car cette rampe étoit obscure, et je ne pus l’apercevoir. Au repos du degré, qui étoit assez long, la reine s’approcha du roi. Je demeurai où j’étois sans