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Page:Saint-Simon - Mémoires, Chéruel, Hachette, 1858, octavo, tome 19.djvu/351

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cette nature demeurât ignorée plus de deux heures dans le château de Versailles. Les domestiques du maréchal de Villeroy, à qui personne n’avoit osé rien dire en sortant, je ne sais par quel hasard, attendirent toujours avec sa chaise près de la salle des gardes ; et ceux qui étoient chez lui, dans les derrières des cabinets du roi, ne l’apprirent qu’après que M. le duc d’Orléans eut vu le roi, et qu’il leur manda que le maréchal étoit allé à Villeroy, où ils pouvoient lui aller porter ce qui lui étoit nécessaire. Je reçus à Meudon le message convenu. J’allois me mettre à table, et ce ne fut que vers le souper qu’il vint des gens de Versailles qui nous apprirent à tous la nouvelle qui y faisoit grand bruit, mais un bruit fort contenu que la qualité de l’exécution rendoit fort mesuré par la surprise et la frayeur qu’elle avoit répandues.

Ce ne fut pas, après, un petit embarras que celui de M. le duc d’Orléans pour en porter la nouvelle au roi, dès qu’elle fut répandue. Il entra dans le cabinet du roi, d’où il fit sortir tous les courtisans qui s’y trouvèrent, et n’y laissa que les gens dont les charges leur donnoient cette entrée, et il ne s’en trouva presque point. Au premier mot le roi rougit ; ses yeux se mouillèrent : il se mit le visage contre le dos d’un fauteuil, sans dire une parole, ne voulut ni sortir ni jouer. À peine mangea-t-il quelques bouchées à souper, pleura et ne dormit point de toute la nuit. La matinée et le dîner du lendemain 14 ne se passèrent guère mieux. Ce même jour 14, comme je sortois de dîner à Meudon avec beaucoup de monde, le valet de chambre qui me servoit me dit qu’il y avoit là un courrier du cardinal Dubois, avec une lettre, qu’il n’avoit pas cru me devoir amener à table devant toute cette compagnie. J’ouvris la lettre. Le cardinal me conjuroit de l’aller trouver à l’instant droit à la surintendance à Versailles, d’amener avec moi un homme sûr en état de courir la poste pour le dépêcher à la Trappe aussitôt qu’il m’auroit parlé, et de ne me point casser la tête à deviner ce que ce pouvoit être, parce qu’il me seroit impossible