Page:Saint-Simon - Mémoires, Chéruel, Hachette, 1858, octavo, tome 19.djvu/398

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Ventadour du seul bon côté, et qui, avec raison, le tenoit à grand honneur. L’affaire fut bientôt conclue ; elle fut présentée au feu roi par la duchesse de Ventadour ; sa beauté fit du bruit ; son esprit, qu’elle sut ménager, et son air de modestie la relevèrent. Presque incontinent après, de Prie fut nommé à l’ambassade de Turin, et tous deux ne tardèrent pas à s’y rendre. On y fut content du mari, la femme y réussit fort, mais leur séjour n’y fut pas fort long. La mort du roi et l’effroi des financiers pressèrent leur retour ; l’ambassade ne rouloit que sur la bourse du beau-père. Mme de Prie avoit donc vu le grand monde françois et étranger ; elle en avoit pris le ton et les manières en ambassadrice et en femme de qualité distinguée et comme ; elle avoit été applaudie partout. Elle ne dépendoit plus de sa mère ; elle la méprisa et prit des airs avec elle qui lui firent sentir toute la différence de la fleur d’une jeune beauté d’avec la maturité des anciens charmes d’une mère, et toute la distance qui se trouvoit entre la marquise de Prie et Mme de Plénœuf. On peut juger de la rage que la mère en conçut ; la guerre fut déclarée, les soupirants prirent parti, l’éclat n’eut plus de mesure ; la déroute et la fuite de Plénœuf suivirent de près. La misère, vraie ou apparente, et les affaires les plus fâcheuses accablèrent Mme de Plénoeuf. Sa fille rit de son désastre et combla son désespoir. Voilà un long narré sur deux femmes de peu de chose, et peu digne, ce semble, de tenir la moindre place dans des Mémoires sérieux, où on a toujours été attentif de bannir les bagatelles, les galanteries, surtout quand elles n’ont influé sur rien d’important. Achevons tout de suite.

Mme de Prie devint maîtresse publique de M. le Duc, et son mari, ébloui des succès prodigieux que M. de Soubise avoit eus, prit le parti de l’imiter, mais M. le Duc n’étoit pas Louis XIV, et ne menoit pas cette affaire sous l’apparent secret et sous la couverture de toutes les bienséances les plus précautionnées. C’est où ces deux femmes en étoient, lorsque