Page:Saint-Simon - Mémoires, Chéruel, Hachette, 1858, octavo, tome 20.djvu/27

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de son mari les arrêta. Dès que la nouvelle en vint, le duc de Bouillon pensa aussitôt au mariage de son second fils, si elle devenoit veuve, et à tout événement dépêcha le comte d’Évreux à Strasbourg pour lui persuader de continuer son voyage, dans l’espérance de gagner son consentement. Ils y réussirent, et la gardèrent tantôt chez eux à Pontoise, tantôt dans un couvent du lieu, et n’en laissèrent approcher personne qui la pût imprudemment détromper des grandeurs qu’elle croyoit aller épouser. Ils négocièrent en Silésie pour avoir le consentement, puis à Rome pour la dispense, où il n’est question que du plus ou du moins d’argent qu’on n’avoit pas dessein d’épargner. Enfin, le mariage se fit en avril 1724, fort en particulier, à cause du récent veuvage.

Quand elle commença à voir le monde et à être présentée à la cour, elle fut étrangement surprise de s’y trouver comme soutes les autres duchesses et princesses assises, et de ne primer nulle part avec toute la distinction dont on l’avoit persuadée, en sorte qu’il lui échappa plus d’une fois qu’elle avoit compté épouser un souverain, et qu’il se trouvoit que son mari et son beau-père n’étoient que deux bourgeois du quai Malaquais. Ce fut bien pis quand elle vit le roi marié. Je n’en dirai pas davantage. Ces regrets, qu’elle ne cachoit pas, joints à d’autres mécontentements, en donnèrent beaucoup aux Bouillon. Le mariage ne fut pas heureux. La princesse, qui ne put s’accoutumer à l’unisson avec nos duchesses et princesses, encore moins à vivre avec les autres, comme il falloit qu’elle s’y assujettit, se rendit solitaire et obscure. Elle eut des enfants, et, après plusieurs années, ne pouvant plus tenir dans une situation si forcée, elle obtint aisément d’aller faire un voyage en Silésie pour ménager son père et ses intérêts auprès de lui. Son mari ne demandoit pas mieux que d’en être honnêtement défait. Il ne la pressa point de revenir, et au bout de peu d’années elle mourut en Silésie, au grand soulagement de M. de Bouillon,