Page:Saint-Simon - Mémoires, Chéruel, Hachette, 1858, octavo, tome 20.djvu/57

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lettre que, parmi la joie de se voir en sûreté sous la protection du roi, avec son fils, elle avoit la douleur de n’oser mener à ses pieds celui à qui elle devoit de l’avoir sauvée avec le prince de Galles. La réponse du roi, après tout ce qu’il y mit de généreux et de galant, fut qu’il partageoit cette obligation avec elle, et qu’il avoit hâte de lui témoigner en revoyant le comte de Lauzun et lui rendant ses bonnes grâces. En effet, lorsqu’elle le présenta au roi dans la plaine de Saint-Germain, où le roi avec la famille royale et toute sa cour vint au devant d’elle, il traita Lauzun parfaitement bien, lui rendit là même les grandes entrées et lui promit un logement au château de Versailles qu’il lui donna incontinent après ; et de ce jour-là il en eut un à Marly tous les voyages et à Fontainebleau, en sorte que jusqu’à la mort du roi il ne quitta plus la cour. On peut juger quel fut le ravissement d’un courtisan aussi ambitieux, qu’un retour si éclatant et si unique ramenoit des abîmes et remettoit subitement à flot. Il eut aussi un logement dans le château de Saint-Germain choisi pour le séjour de cette cour fugitive, où le roi Jacques II arriva bientôt après.

Lauzun y fit tout l’usage qu’un habile courtisan sait faire de l’une et l’autre cour, et de se procurer par celle d’Angleterre les occasions de parler souvent au roi, et d’en recevoir des commissions. Enfin, il sut si bien s’en aider que le roi lui permit de recevoir dans Notre-Dame, à Paris, l’ordre de la Jarretière des mains du roi d’Angleterre, le lui accorda à son second passage en Irlande pour général de son armée auxiliaire, et permît qu’il le fût en même temps de celle du roi d’Angleterre, qui la même campagne perdit l’Irlande avec la bataille de la Boyne, et revint en France avec le comte de Lauzun, pour lequel enfin il obtint des lettres de due, qui furent vérifiées au parlement, en mai 1692. Quel miraculeux retour de fortune ! Mais quelle fortune en comparaison du mariage public avec Mademoiselle, avec la donation de tous ses biens prodigieux, et le titre et