Page:Saint-Simon - Mémoires, Chéruel, Hachette, 1858, octavo, tome 20.djvu/56

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l’avoir impitoyablement rançonnée on la trompoit encore en tenant Lauzun éloigné, et fit tant de bruit qu’enfin elle obtint son retour à Paris, et liberté entière, à condition de n’approcher pas plus près de deux lieues de tout le lieu où le roi seroit. Il vint donc à Paris où il vit assidûment sa bienfaitrice. L’ennui de cette sorte d’exil, pourtant si adouci, le jeta dans le gros jeu et il y fut extrêmement heureux ; toujours beau et sûr joueur, et net en tout au possible, et il gagna fort gros. Monsieur, qui faisoit quelquefois de petits séjours à Paris, et qui y jouoit gros jeu, lui permit de venir jouer avec lui au Palais-Royal, puis à Saint-Cloud, où il faisoit l’été de plus longs séjours. Lauzun passa ainsi plusieurs années, gagnant et prêtant beaucoup d’argent fort noblement ; mais plus il se trouvoit près de la cour et parmi le grand monde, plus la défense d’en approcher lui étoit insupportable. Enfin, n’y pouvant plus tenir, il fit demander au roi la permission d’aller se promener en Angleterre, où on jouoit beaucoup et fort gros. Il l’obtint, et il y porta beaucoup d’argent qui le fit recevoir à bras ouverts à Londres, où il ne fut pas moins heureux qu’à Paris.

Jacques II y régnoit, qui le reçut avec distinction. La révolution s’y brassoit déjà. Elle éclata au bout de huit ou dix mois que Lauzun fut en Angleterre. [Elle] sembla faite exprès pour lui par le succès qui lui en revint et qui n’est ignoré de personne. Jacques II, ne sachant plus ce qu’il alloit devenir, trahi par ses favoris et ses ministres, abandonné de toute sa nation, le prince d’Orange maître des cœurs, des troupes et des flottes, et près d’entrer dans Londres, le malheureux monarque confia à Lauzun ce qu’il avoit de plus cher, la reine et le prince de Galles qu’il passa heureusement à Calais. Cette princesse dépêcha aussitôt un courrier à Versailles qui suivit de près celui que le duc de Charost, qui prit depuis le nom de duc de Béthune, gouverneur de Calais, et qui y étoit alors, avoit envoyé à l’instant de l’arrivée de la reine. Cette princesse, après les compliments, insinua dans sa