Page:Saint-Simon - Mémoires, Chéruel, Hachette, 1858, octavo, tome 20.djvu/63

La bibliothèque libre.
Cette page n’a pas encore été corrigée

à tout propos, sans que le duc de Lauzun lui en rendit jamais aucun, ni s’en fâchât, mais il l’évitoit doucement volontiers. Il fit toujours beaucoup pour les enfants de ses sœurs. On a vu ici en son temps combien l’évêque de Marseille s’étoit signalé à la peste, et de ses biens et de sa personne. Quand elle fut tout à fait passée, M. de Lauzun demanda une abbaye pour lui à M. le duc d’Orléans. Il donna les bénéfices peu après et oublia M. de Marseille. M. de Lauzun voulut l’ignorer, et demanda à M. le duc d’Orléans s’il avoit eu la bonté de se souvenir de lui. Le régent fut embarrassé. Le duc de Lauzun, comme pour lever l’embarras, lui dit d’un ton doux et respectueux : « Monsieur, il fera mieux une autre fois, » et avec ce sarcasme rendit le régent muet, et s’en alla en souriant. Le mot courut fort, et M. le duc d’Orléans, honteux, répara son oubli par l’évêché de Laon, et sur le refus de M. de Marseille de changer d’épouse, il lui donna une grosse abbaye, quoique M. de Lauzun fût mort.

Il empêcha une promotion de maréchaux de France par le ridicule qu’il y donna aux candidats qui la pressoient. Il dit au régent, avec ce même ton respectueux et doux, qu’au cas qu’il fît, comme on le disoit, des maréchaux de France inutiles, il le supplioit de se souvenir qu’il étoit le plus ancien lieutenant général du royaume, et qu’il avoit eu l’honneur de commander des armées avec la patente de général. J’en ai rapporté ailleurs de fort salées. Il ne se pouvoit tenir là-dessus ; l’envie et la jalousie y avoient la plus grande part, et comme ses bons mots étoient toujours fort justes et fort pointus, ils étoient fort répétés.

Nous vivions ensemble en commerce le plus continuel, il m’avoit même rendu de vrais services, solides et d’amitié, de lui-même, et j’avois pour lui toutes sortes d’attentions et d’égards, et lui pour moi. Néanmoins je ne pus échapper à sa langue par un trait qui devoit me perdre, et je ne sais comment ni pourquoi il ne fit que glisser. Le roi baissoit,