Page:Saint-Simon - Mémoires, Chéruel, Hachette, 1858, octavo, tome 20.djvu/64

La bibliothèque libre.
Cette page n’a pas encore été corrigée

il le sentoit ; il commençoit à songer pour après lui. Les rieurs n’étoient pas pour M. le duc d’Orléans : on voyoit pourtant sa grandeur s’approcher. Tous les yeux étoient sur lui et l’éclairoient avec malignité, par conséquent sur moi, qui depuis longtemps étois le seul homme de la cour qui lui fût demeuré attaché publiquement, et qu’on voyoit le seul dans toute sa confiance. M. de Lauzun vint pour dîner chez moi, et nous trouva à table. La compagnie qui s’y trouva lui déplut apparemment, il s’en alla chez Torcy, avec qui alors je n’étois en nul commerce, qui étoit aussi à table avec beaucoup de gens opposés à M. le duc d’Orléans, Tallard entre autres et Tessé. « Monsieur, dit-il à Torcy avec cet air doux et timide qui lui étoit si familier, prenez pitié de moi, je viens de chercher à dîner avec M. de Saint-Simon ; je l’ai trouvé à table avec compagnie ; je me suis gardé de m’y mettre ; je n’ai pas voulu être le reste de la cabale, je m’en suis venu ici en chercher. » Les voilà tous à rire. Ce mot courut tout Versailles à l’instant ; Mme de Maintenon et M. du Maine le surent aussitôt, et, toutefois, on ne m’en fit pas le moindre semblant ; m’en fâcher n’eût fait qu’y donner plus de cours ; je pris la chose comme l’égratignure au sang d’un mauvais chat, et je ne laissai pas apercevoir à Lauzun que je le susse.

Trois ou quatre ans avant sa mort, il eut une maladie qui le mit à l’extrémité. Nous y étions tous fort assidus, il ne voulut voir pas un de nous que Mme de Saint-Simon une seule fois. Languet, curé de Saint-Sulpice, y venoit souvent, et perçoit quelquefois jusqu’à lui, qui tenoit des discours admirables. Un jour qu’il y étoit, le duc de La Force se glissa dans sa chambre ; M. de Lauzun ne l’aimoit point du tout, et s’en moquoit souvent. Il le reçut assez bien, et continua d’entretenir tout haut le curé. Tout d’un coup il se tourne à lui, lui fait des compliments et des remerciements, lui dit qu’il n’a rien à lui donner de plus cher que sa bénédiction, tire son bras du lit, la prononce et la lui donne ; tout de