Page:Saint-Simon - Mémoires, Chéruel, Hachette, 1858, octavo, tome 20.djvu/65

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suite se tourne au duc de La Force, lui dit qu’il l’a toujours aimé et respecté comme l’aîné et le chef de sa maison, et qu’en cette qualité il lui demande sa bénédiction. Ces deux hommes demeurent confondus, et d’étonnement, sans proférer un mot. Le malade redouble ses instances ; M. de La Force, revenu à soi, trouve la chose si plaisante qu’il lui donne sa bénédiction ; et, dans la crainte d’éclater, sort à l’instant et nous revient trouver dans la pièce joignante, mourant de rire et pouvant à peine nous raconter ce qui venoit de lui arriver. Un moment après le curé sortit aussi, l’air fort consterné, souriant tant qu’il pouvoit pour faire bonne mine. Le malade, qui le savoit ardent et adroit à tirer des gens pour le bâtiment de son église, avoit dit souvent qu’il ne seroit jamais de ses grues ; il soupçonna ses assiduités d’intérêt, et se moqua de lui en ne lui donnant que sa bénédiction qu’il devoit recevoir de lui, et du duc de La Force, en même temps, en lui demandant persévéramment la sienne. Le curé, qui le sentit, en fut très mortifié, et, en homme d’esprit, il ne le revit pas moins, mais M. de Lauzun abrégeoit les visites, et ne voulut point entendre le françois.

Un autre jour qu’on le tenoit fort mal, Biron et sa femme, fille de Mme de Nogent, se hasardèrent d’entrer sur la pointe du pied, et se tinrent derrière ses rideaux, hors de sa vue ; mais il les aperçut par la glace de la cheminée lorsqu’ils se persuadoient n’en pouvoir être ni vus ni entendus. Le malade aimoit assez Biron, mais point du tout sa femme qui étoit pourtant sa nièce et sa principale héritière, il la croyoit fort intéressée, et toutes ses manières lui étoient insupportables. En cela il étoit comme tout le monde. Il fut choqué de cette entrée subreptice dans sa chambre, et comprit qu’impatiente de l’héritage, elle venoit pour tâcher de s’assurer par elle-même s’il mourroit bientôt. Il voulut l’en faire repentir, et s’en divertir d’autant. Le voilà donc qu’il se prend tout d’un coup à faire tout haut, comme se croyant tout seul, une oraison éjaculatoire, à demander pardon à Dieu