Page:Saint-Simon - Mémoires, Chéruel, Hachette, 1858, octavo, tome 20.djvu/70

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elle sur quoi que ce prit être. C’est Biron lui-même qui me le dit le lendemain, dans les mêmes termes que je les rapporte. [M. de Lauzun] lui dit adieu d’un ton ferme, et le congédia. Il défendit, avec raison, toute cérémonie ; il fut enterré aux Petits-Augustins ; il n’avoit rien du roi que cette ancienne compagnie des becs de corbin, qui fut supprimée deux jours après. Un mois avant sa mort il avoit envoyé chercher Dillon, chargé ici des affaires du roi Jacques, et officier général très distingué, à qui il remit son collier de l’ordre de la Jarretière, et un Georges d’onyx entouré de parfaitement beaux et gros diamants, pour les renvoyer à ce prince. Je m’aperçois enfin que j’ai été bien prolixe sur un homme, dont la singularité extraordinaire de sa vie et le commerce continuel que la proximité m’a donné avec lui m’a paru mériter de le faire connoître, d’autant qu’il n’a pas assez figuré dans les affaires générales pour en attendre rien des histoires qui paroîtront.

Un autre sentiment a allongé mon récit. Je touche à un but que je crains d’atteindre, parce que mes désirs n’y peuvent s’accorder avec la vérité ; ils sont ardents, par conséquent cuisants, parce que l’autre est terrible et ne laisse pas le moindre lieu à oser chercher à se la pallier ; cette horreur d’y venir enfin m’a arrêté, m’a accroché où j’ai pu, m’a glacé. On entend bien qu’il s’agit de venir à la mort et au genre de mort de M. le duc d’Orléans, et quel récit épouvantable, surtout après un tel et si long attachement, puisqu’il a duré en moi pendant toute sa vie, et qu’il durera toute la mienne pour me pénétrer d’effroi et de douleur sur lui. On frémit jusque dans les moelles, par l’horreur du soupçon que Dieu l’exauça dans sa colère.