Page:Saint-Simon - Mémoires, Chéruel, Hachette, 1858, octavo, tome 20.djvu/94

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et vrais ; on est irrité contre les fripons dont les cours fourmillent ; on l’est encore plus contre ceux dont on a reçu du mal. Le stoïque est une belle et noble chimère. Je ne me pique donc pas d’impartialité, je le ferois vainement. On trouvera trop, dans ces Mémoires, que la louange et le blâme coulent de source à l’égard de ceux dont je suis affecté, et que l’un et l’autre est plus froid sur ceux qui me sont plus indifférents ; mais néanmoins vif toujours pour la vertu, et contre les malhonnêtes gens, selon leur degré de vices ou de vertu. Toutefois, je me rendrai encore ce témoignage, et je me flatte que le tissu de ces Mémoires ne me le rendra pas moins, que j’ai été infiniment en garde contre mes affections et mes aversions, et encore plus contre celles-ci, pour ne parler des uns et des autres que la balance à la main, non seulement ne rien outrer, mais ne rien grossir, m’oublier, me défier de moi comme d’un ennemi, rendre une exacte justice, et faire surnager à tout la vérité la plus pure. C’est en cette manière que je puis assurer que j’ai été entièrement impartial, et je crois qu’il n’y a point d’autre manière de l’être.

Pour ce qui est de l’exactitude et de la vérité de ce que je raconte, on voit par les Mémoires mêmes que presque tout est puisé de ce qui a passé par mes mains, et le reste, de ce que j’ai su par ceux qui avoient traité les choses que je rapporte. Je les nomme ; et leur nom ainsi que ma liaison intime avec eux est hors de tout soupçon. Ce que j’ai appris de moins sûr, je le marque ; et ce que j’ai ignoré, je n’ai pas honte de l’avouer. De cette façon les Mémoires sont de source, de la première main. Leur vérité, leur authenticité ne peut être révoquée en doute ; et je crois pouvoir dire qu’il n’y en a point eu jusqu’ici qui aient compris plus de différentes matières, plus approfondies, plus détaillées, ni qui forment un groupe plus instructif ni plus curieux.

Comme je n’en verrai rien, peu m’importe. Mais si ces Mémoires voient jamais le jour, je ne doute pas qu’ils n’excitent