Page:Sainte-Beuve - Causeries du lundi, I, 3e éd, 1857.djvu/63

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arrivant dans le fond de son carrosse tout ouvert, au milieu de monsieur son fils et de mademoiselle sa fille : tous trois tels que les poëtes représentent Latone au milieu du jeune Apollon et de la jeune Diane, tant il éclatait d’agrément dans la mère et dans les enfants ! » La voilà bien au naturel dans son cadre et dans son épanouissement : une beauté, un esprit et une grâce à découvert, qui reluit en plein soleil. Il faut noter pourtant une nuance. Sa joie si réelle n’était pas pour cela à tout propos ni hors de saison, et, sans jamais s’éteindre, elle s’adoucit sans doute avec les années. Parlant d’un voyage qu’elle faisait en 1672, et où elle regrettait la compagnie de son aimable cousin de Coulanges : « Pour avoir de la joie, écrivait-elle, il faut être avec des gens réjouis. Vous savez que je suis comme on veut, mais je n’invente rien. » Cela veut dire que ce charmant esprit avait tous les tons et savait s’accommoder aux personnes. Toujours est-il que, même au milieu des tristesses et des ennuis, elle demeurait la plus belle humeur de femme et l’imagination la plus enjouée qui se pût voir. Elle avait un tour à elle, le don des images les plus familières et les plus soudaines, et elle en revêtait à l’improviste sa pensée comme pas une autre n’eût su faire. Même quand cette pensée est sérieuse, même quand la sensibilité est au fond, elle a de ces mots qui la déjouent et qui font l’effet d’une gaieté. Son esprit ne put jamais se priver de cette vivacité d’éclairs et de cette gaieté de couleurs. Elle est tout le contraire de ses bons amis les jansénistes, qui ont le style triste.

Mme de Sévigné, Mme de La Fayette et Mme de Maintenon sont les plus distinguées entre les femmes du xviie siècle qui ont écrit. Les deux dernières ont su concilier dans une rare mesure l’exactitude et l’atticisme ; mais la première seule nous offre cette imagination con-