Page:Sainte-Beuve - Causeries du lundi, I, 3e éd, 1857.djvu/64

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tinue, cette invention de détail qui anime tout ce qu’elle touche, et dont on jouit également chez La Fontaine et chez Montaigne. C’est cette veine d’imagination perpétuelle dans le détail de l’expression plutôt que dans l’ensemble, qui nous ravit surtout en France. On a remarqué, d’ailleurs, qu’à cette époque de Louis XIV, toutes les femmes du monde écrivent avec charme ; elles n’ont pour cela qu’à écrire comme elles causent et à puiser dans l’excellent courant d’alentour. C’est ce qu’on a dit bien souvent, mais je puis le prouver aussitôt par un piquant exemple et tout à fait neuf, que me suggère M. Walckenaer lui-même. Parmi les personnes qu’il rencontre sur son chemin, dans son quatrième volume, est une marquise de Courcelles qui eut une célébrité fâcheuse, et dont Mme de Sévigné parle dans ses lettres. M. Walckenaer a consacré tout un chapitre à cette beauté romanesque ; mais il s’est appliqué à la traduire, et il ne la laisse pas assez parler elle-même. Pourtant Mme de Courcelles a écrit ; elle a raconté avec une ingénuité singulière une partie de ses aventures dans une confession adressée à l’un de ses amants ; elle a laissé des lettres écrites à ce même amant. C’est la personne la moins semblable au moral à Mme de Sévigné, mais elle peut en être rapprochée sans injure pour l’esprit et pour la grâce.

La marquise de Courcelles, née Sidonia de Lenoncourt, d’une illustre famille de Lorraine, orpheline de bonne heure, fut élevée chez une tante abbesse, dans un couvent d’Orléans, et tirée de là à l’âge de moins de quatorze ans, par ordre de Louis XIV, pour être mariée comme riche héritière à Maulevrier, un des frères de Colbert. Ce mariage manqua par l’habileté de cette jeune fille, qui, à peine sortie de l’enfance, savait des manèges et des ruses qui eussent fait honneur à une