Page:Sainte-Beuve - Causeries du lundi, I, 3e éd, 1857.djvu/75

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lève encore une fois toute la jeunesse. Il se tromperait fort, nous en sommes certain, s’il se figurait cela ; la séduction n’est plus à beaucoup près la même ni sans mélange. Pourtant elle n’est pas épuisée encore, et il y a dans cette destinée du poëte, séducteur à la fois des pères et des fils, sur un même thème d’amour, quelque chose qui rappelle véritablement la destinée de Ninon. Quoi qu’il en soit, tôt ou tard, le fatal lendemain arrive. Pour moi qui, en qualité de critique, suis de ce lendemain plus que je ne veux, je me demande, après avoir lu Raphaël, non pas s’il y a assez de beautés pour nous toucher çà et là et pour ravir les jeunes cœurs avides et qui dévorent tout ; mais je me demande si les esprits devenus avec l’âge plus délicats et plus difficiles, ceux qui portent en eux le sentiment de la perfection, ou qui seulement ont le besoin du naturel jusque dans l’idéal, ne sont pas arrêtés à tout moment et ne trouvent pas, à cette lecture, plus de souffrance de goût que de jouissance de cœur et d’émotion véritable.

Je ne ferai que courir sur la préface dans laquelle Raphaël, ce meilleur ami de l’auteur, nous est représenté et décrit dans les moindres détails de sa beauté avec plus de coquetterie et d’application, mais avec moins d’agrément, selon moi, que nous n’en avons vu l’autre jour à cette jolie Mme de Courcelles s’asseyant devant son miroir. Je ne sais rien de moins intéressant qu’un homme qui se mire et qui s’adonise. Au physique comme au moral, Raphaël réunit toutes les perfections, tous les dons de l’ange, son patron, et du grand peintre, son homonyme. Je laisse de côté le physique ; et, sur ce point, je ne me permettrai qu’une remarque. L’auteur, en essayant d’appliquer à son héros le type de beauté du grand peintre d’Urbin, a oublié une seule chose : c’est que la première, la souveraine impression