Page:Sainte-Beuve - Causeries du lundi, I, 3e éd, 1857.djvu/76

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que fait sur nous la vue d’une figure de Raphaël, est une impression de pureté virginale et de chasteté. Or, je ne saurais recevoir cette impression-là, quand l’auteur, dans la traduction qu’il nous donne du portrait du peintre, s’épuise à nous décrire ces yeux, « qui sont, dit-il, imbibés de lumière jusqu’au fond, mais un peu humides des rayons délayés dans la rosée ou dans les larmes. » Je sens là une intention voluptueuse qui ne ressort pour moi d’aucune figure peinte par Raphaël, pas même de la sienne. Raphaël a pu avoir du voluptueux dans sa vie, mais M. de Lamartine en a prêté gratuitement à son pinceau. — Je reviens au Raphaël d’aujourd’hui, à celui de M. de Lamartine : « S’il eût tenu un pinceau, dit notre auteur, il aurait peint la Vierge de Foligno ; s’il eût manié le ciseau, il aurait sculpté la Psyché de Canova ; s’il eût connu la langue dans laquelle on écrit les sons, il aurait noté les plaintes aériennes du vent de mer dans les fibres des pins d’Italie… S’il eût été poëte, il aurait écrit les apostrophes de Job à Jéhovah, les stances d’Herminie du Tasse, la conversation de Roméo et Juliette au clair de lune, de Shakspeare, le portrait d’Haydé de lord Byron… S’il eût vécu dans ces républiques antiques où l’homme se développait tout entier dans la liberté, comme le corps se développe sans ligature dans l’air libre et en plein soleil, il aurait aspiré à tous les sommets comme César, il aurait parlé comme Démosthène, il serait mort comme Caton. » Caton, César, Démosthène, Tasse, Shakspeare, Job et tutti quanti, tout cela en un seul homme, à la bonne heure ! Quand on se met une fois en frais d’idéal, il est plus simple de ne pas s’arrêter à mi-chemin dans ses souhaits d’ambition. Mais, après avoir parlé ainsi de Raphaël, M. de Lamartine n’a plus qu’une réponse à faire à ceux qui lui demanderaient si Raphaël ce n’est pas lui-même ; il de-