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LA DUCHESSE DE BOURGOGNE

Je ne reproduirai pas ici les divers portraits de la duchesse de Bourgogne, qu’il faudrait transcrire de maint endroit et surtout copier chez Saint-Simon ; on les retrouve heureusement encadrés et entourés de traits fins dans la Notice de Mme de Noailles (oh ! mon Dieu ! voilà le nom qui m’est échappé). La duchesse de Bourgogne n’était ni belle ni jolie, elle était mieux que cela. Chaque partie du visage, à la prendre isolément, pouvait paraître défectueuse ou même laide, et de toutes ces laideurs, de tous ces défauts et de ces irrégularités, ajustées, attachées par la main des Grâces, il résultait je ne sais quelle harmonie de la personne, un ensemble délicieux dont le mouvement et le tourbillon vous ravissaient le regard et l’âme. Au moral c’était de même, et je me permettrai d’être ici moins circonspect que l’auteur de la Notice. Il semble trop, d’après ce gracieux et discret auteur, que la duchesse de Bourgogne fut une personne accomplie et parfaite, et que cette éducation de Saint-Cyr l’eût réellement atteinte au fond. Gardez-vous bien de le croire. Elle jouait, il est vrai, un rôle dans Athalie, mais pourquoi ne saurions-nous pas aussi ce qu’elle pensait d’Athalie, en enfant capricieuse qu’elle était ? C’est à propos de ces représentations de Saint-Cyr que Mme de Maintenon écrivait : « Voilà donc Athalie encore tombée ! Le malheur poursuit tout ce que je protège et que j’aime. Mme la duchesse de Bourgogne m’a dit qu’elle ne réussirait pas, que c’était une pièce fort froide, que Racine s’en était repenti, que j’étais la seule qui l’estimait, et mille autres choses qui m’ont fait pénétrer, par la connaissance que j’ai de cette Cour-là, que son personnage lui déplaît. Elle veut jouer Josabeth, qu’elle ne jouera pas comme la comtesse d’Ayen. » Et dès qu’on lui a accordé ce rôle qu’elle désire, tout change, le point de vue a tourné en un instant ; ce sont là les coulisses de Saint--