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LA DUCHESSE DE BOURGOGNE

fat illustre. Admis dans l’intimité de la princesse et de Mme de Maintenon, traité sur le pied d’un bel enfant espiègle et spirituel, il ne tarda pas à prendre les licences que prend cet effronté de Chérubin près de sa marraine, et s’émancipa si bien qu’il ne fallut rien moins que la Bastille pour le remettre à la raison et satisfaire la colère du roi. La duchesse était déjà morte quand il en sortit.

Au milieu de toutes ces légèretés et de ces enfances, la duchesse de Bourgogne avait des qualités sérieuses, et qui le devenaient de plus en plus avec l’âge. Elle disait agréablement un jour à Mme de Maintenon : « Ma tante, je vous ai des obligations infinies, vous avez eu la patience d’attendre ma raison. » Elle eût sans doute été capable d’affaires et de politique. La manière dont elle sut défendre le prince son époux contre la cabale du duc de Vendôme, l’éclatante revanche qu’elle prit contre celui-ci en plein Marly, et le coup de revers par lequel elle l’évinça, font entrevoir ce qu’elle aurait pu, ce qu’elle pouvait de suivi et d’habile quand les choses lui tenaient à cœur. Les quelques lettres qu’on publie d’elle au duc de Noailles, et où elle dit qu’elle n’entend rien à la politique, prouveraient plutôt que, si elle pouvait causer plus librement que par écrit, elle aimerait très-bien à s’en mêler. Il y a même quelque chose de plus grave, et que je ne vois aucune raison de dissimuler : selon Duclos, cette enfant si séduisante, et si chère au roi, n’en trahissait pas moins l’État, en instruisant son père le duc de Savoie, redevenu alors notre ennemi, de tous les projets militaires qu’elle trouvait moyen de lire : et avec sa familiarité folâtre, avec ses entrées à toute heure et partout, elle était à la source pour cela. Le roi, ajoute l’historien, eut la preuve de cette perfidie par les lettres qu’il trouva dans la cassette