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Page:Sainte-Beuve - Causeries du lundi, II, 5e éd.djvu/175

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HUET

Ce n’était pourtant pas un savant hérissé ni sauvage que l’aimable Huet. M. Christian Bartholmèss vient de le faire connaître par le côté philosophique dans un travail approfondi qui a été fort apprécié dans le monde de l’Université et dans celui de l’Académie des Sciences morales. M. Bartholmèss est un écrivain non-seulement très-instruit, mais élégant, facile, spirituel, qui traite des matières et des personnages philosophiques sans effort, sans ennui, et qui sait même y répandre de l’intérêt, un certain coloris animé et comme affectueux. Ici, toutefois, je me permettrai de trouver que l’ouvrage se ressent un peu trop de sa destination directe, ayant été surtout composé en vue de la Sorbonne. Huet y est trop réfuté et combattu, au lieu d’être plus uniment raconté et exposé. Huet, selon moi, et ceux qui se préoccupent comme lui de la faiblesse de l’esprit humain, n’ont pas si tort qu’on le dit dans les écoles de l’Université, et Descartes, en philosophie, n’a pas si évidemment raison qu’il plaît à nos maîtres de le proclamer.

Mais je ne veux pas discuter moi-même, et j’aimerais simplement à montrer dans son vrai jour cet homme docte, aimable, poli, qui sut tout, tout ce qui pouvait être su alors, et qui est la dernière grande figure, et l’une des plus fines, de ces savants robustes d’un autre âge. Huet se rendait parfaitement compte qu’il était l’homme d’une époque qui finissait : « Quand je suis entré dans le pays des Lettres, dit-il, elles étaient encore florissantes, et plusieurs grands personnages en soutenaient la gloire. J’ai vu les Lettres décliner et tomber enfin dans une décadence presque entière ; car je ne connais presque personne aujourd’hui que l’on puisse appeler véritablement savant. » Il écrivait cela en songeant à la seconde moitié du siècle de Louis XIV, ce qui est pourtant de nature à nous consoler, en nous