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CHESTERFIELD

dix-neuf ans, après avoir achevé ses tournées de Suisse, d’Allemagne et d’Italie.

Tout a été disposé par le plus attentif des pères pour son succès et sa bienvenue sur cette scène nouvelle. Le jeune homme est logé à l’Académie, chez M. de La Guérinière ; le matin il y fait ses exercices, et le reste du temps il doit le consacrer au monde. « Le plaisir est aujourd’hui la dernière branche de votre éducation, lui écrit ce père indulgent ; il adoucira et polira vos manières, il vous poussera à chercher et enfin à acquérir les grâces. » Mais, sur ce dernier point, il se montre exigeant et sans quartier. Les grâces, c’est à elles qu’il revient toujours, car sans elles tout effort est vain : « Si elles ne viennent pas à vous, enlevez-les, » s’écrie-t-il. Il en parlait bien à son aise, comme si pour savoir les enlever, il ne fallait pas déjà les avoir.

Trois dames des amies de son père sont particulièrement chargées de surveiller et de guider le jeune homme au début : ce sont ses gouvernantes en titre, Mme de Monconseil, milady Hervey, et Mme Du Bocage. Mais ces introductrices ne paraissent essentielles que pour les premiers temps : il faut que le jeune homme aille ensuite de lui-même et qu’il se choisisse quelque guide charmant plus familier. Sur cet article délicat des femmes, lord Chesterfield brise la glace : « Je ne vous parlerai pas sur ce sujet en théologien, en moraliste, ni en père, dit-il ; je mets de côté mon âge, pour ne considérer que le vôtre. Je veux vous parler comme ferait un homme de plaisir à un autre, s’il a du goût et de l’esprit. » Et il s’exprime en conséquence, stimulant le plus qu’il peut le jeune homme vers les arrangements honnêtes et les plaisirs délicats, pour le détourner des habitudes faciles et grossières. Il a pour principe « qu’un arrangement honnête sied bien à un galant homme. » Toute sa mo-