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CHESTERFIELD

consolations dans sa jolie maison de campagne de Blackheath, qu’il avait aussi baptisée à la française du nom de Babiole. Il s’y occupait de jardinage et de la culture de ses melons et de ses ananas ; il se plaisait à végéter de compagnie avec eux :


« J’ai végété toute cette année ici, écrivait-il à une amie de France (septembre 1753), sans plaisirs et sans peines : mon âge et ma surdité me défendent les premiers ; ma philosophie, ou peut-être mon tempérament (car on s’y trompe souvent), me garantit des dernières. Je tire toujours le meilleur parti que je puis des amusements tranquilles du jardinage, de la promenade et de la lecture, moyennant quoi j’attends la mort, sans la désirer ou la craindre. »


Il n’entreprit point de longs ouvrages, pour lesquels il se sentait trop fatigué, mais il envoyait quelquefois d’agréables Essais à une publication périodique, le Monde. Ces Essais répondent bien à sa réputation de finesse et d’urbanité. Pourtant rien n’approche de l’ouvrage qui, pour lui, n’en était pas un, de ces Lettres, qu’il comptait bien que personne ne lirait, et qui sont aujourd’hui le fonds de sa richesse littéraire.

Sa vieillesse, un peu précoce, traîna longtemps. Son esprit se jouait en cent façons sur ce triste thème ; parlant de lui et de l’un de ses amis, lord Tyrawley, également vieux et infirme : « Tyrawley et moi, disait-il, voilà deux ans que nous sommes morts, mais nous n’avons pas voulu qu’on le sût. »

Voltaire qui, avec la prétention d’être toujours mourant, était resté bien plus jeune, lui écrivait, le 24 octobre 1771, cette jolie lettre, signée Le vieux Malade de Ferney :


« … … Jouissez d’une vieillesse honorable et heureuse, après avoir passé par les épreuves de la vie. Jouissez de votre esprit et conservez la santé de votre corps. Des cinq sens que nous avons en