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Page:Sainte-Beuve - Causeries du lundi, II, 5e éd.djvu/254

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CAUSERIES DU LUNDI.

contre chez Saint-Évremond et chez nos fins moralistes en général. Il tient, à cet égard, de son ami Montesquieu.

Si, dans les Lettres à son fils, on peut, sans être rigoureux, relever quelques points d’une morale légèrement gâtée, on aurait à indiquer, par compensation, de bien sérieux et tout à fait admirables passages, où il parle du cardinal de Retz, de Mazarin, de Bolingbroke, de Marlborough et de bien d’autres. C’est un livre riche. On n’en peut lire une page sans avoir à en retenir quelque observation heureuse.

Lord Chesterfield destinait ce fils si cher à la diplomatie ; il trouva d’abord quelques difficultés à ses vues dans les raisons tirées de l’illégitimité de naissance. Pour couper court aux objections, il fit entrer son fils au Parlement : c’était le moyen le plus sûr de vaincre les scrupules de la Cour. M. Stanhope, à son discours de début, eut un moment d’hésitation, et fut obligé de recourir à ses notes. Il ne recommença pas l’épreuve du discours public une seconde fois. Il paraît qu’il réussit mieux en diplomatie, dans ces rôles secondaires où suffit un mérite solide. Il remplit le poste d’Envoyé extraordinaire à la Cour de Dresde. Mais sa santé, de tout temps délicate, s’était altérée avant l’âge, et son père eut la douleur de le voir mourir avant lui, à peine âgé de trente-six ans (1768).

Lord Chesterfield, à cette époque, vivait tout à fait séquestré du monde par ses infirmités, dont la plus pénible pour lui était une surdité complète. Montesquieu, dont la vue baissait, lui avait dit autrefois : « Je sais être aveugle. » Mais lui, il convenait n’en pouvoir dire autant ; il ne savait pas être sourd. Il en écrivait davantage à ses amis, même à ceux de France. « Le commerce des lettres, remarquait-il, est la conversation des sourds et l’unique lien de leur société. » Il trouvait ses dernières