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CAUSERIES DU LUNDI.

tures du cardinal de Retz, et il la fait, même au risque d’y éteindre quelque peu la vivacité et l’intérêt. Enfin, M. de Laborde vient en dernier lieu, il met comme la dernière main à cette œuvre de réhabilitation ; bien loin de se laisser arrêter un seul instant à ce charme contraire du cardinal de Retz, il n’en tient nul compte, et il semble avoir passé lui-même, avec entrain et verve, sous le charme de Mazarin.

C’est qu’en effet Mazarin bien vu, et regardé de près comme si nous étions ses contemporains, avait de ces dons qui, dès qu’ils entraient en jeu, permettaient difficilement de lui échapper. « Il était insinuant, dit Mme  de Motteville ; il savait se servir de sa bonté apparente à son avantage ; il avait l’art d’enchanter les hommes, et de se faire aimer par ceux à qui la Fortune le soumettait. » Il est vrai que c’était surtout dans les difficultés et quand il avait le dessous, qu’il usait de ces dons flatteurs et de ces paroles de miel dont la nature a pourvu cette race prudente et si aisément perfide des Ulysses. Nous ne nous figurons guère Mazarin que vieux, goutteux, moribond sous la pourpre ; sachons le voir tel qu’il était dans les temps où il éleva et fonda sa fortune. Il était beau, d’une magnifique prestance, d’une physionomie heureuse. Né en 1602, il n’avait que vingt-neuf ans quand il donnait la mesure de sa capacité, de sa hardiesse et de son bonheur dans la guerre d’Italie. En 1631, homme d’épée encore et le bras droit du Nonce, le Signor Giulio Mazarini (comme on l’appelait alors) arrêta devant Casal les deux armées espagnole et française prêtes à combattre. Sorti du camp espagnol avec les conditions qu’il venait enfin d’arracher, il cria aux Français déjà en marche : Halte ! halte ! la paix ! poussant son cheval à toute bride, et faisant signe du chapeau d’arrêter. L’armée française, qui s’ébranlait et était