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MAZARIN

sur le point de donner, répondait : « Point de paix ! point de Mazarin ! » Mais lui redoublait toujours son geste pacifique, et il essuya même en passant quelques mousquetades. Les chefs l’écoutèrent et suspendirent l’attaque. Un traité s’ensuivit. Ce seul coup de chapeau, par lequel il arrêta et charma ainsi les deux armées, lui aurait bien mérité, disait-on, le chapeau de cardinal.

Richelieu l’avait apprécié dès ce temps et le conquit au service de la France. Il paraît avoir goûté du premier jour ce génie habile, facile et laborieux, ouvert et insinuant, d’une autre nature que le sien, et d’un ordre à quelques égards inférieur, mais qui par cela même ne lui était pas désagréable, et en qui, même à cause des différences, il n’était pas fâché de se désigner un successeur. La première fois qu’il le présenta à la reine après cette affaire de Casal : « Madame, lui dit-il, vous l’aimerez bien, il a l’air de Buckingham. » S’il se permit, en effet, une telle parole, il ne savait pas prédire si juste. Tant que vécut Richelieu, la capacité de Mazarin fut en quelque sorte ensevelie dans le secret du cabinet ; il y était intimement lié avec Chavigny, qui avait le cœur et les entrailles de Richelieu dont il passait tout bas pour le fils. À la mort du grand ministre et du roi, il y eut un moment bien critique pour Mazarin : désigné au premier rang par eux pour le Conseil, il put se croire plutôt à la veille d’une disgrâce, et il faisait déjà, disait-on, ses préparatifs pour retourner en Italie, lorsque son adresse et son étoile le portèrent tout d’un coup au faîte.

Bien qu’il eût quelque chose de Buckingham, il ne paraît pas qu’il ait entretenu aucune liaison particulière avec la reine avant l’année 1643. Si l’on en croit La Rochefoucauld, ce fut dans le court intervalle qui s’é-