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MAZARIN

des Mémoires qu’il cite, mon impression finale et invincible. Mazarin est de la race des ministres comme Robert Walpole, plutôt que de celle des Richelieu ; il est de ceux (et nous en avons connu ) qui ne haïssent pas un certain abaissement dans le génie de la nation qu’ils gouvernent, et qui, alors même qu’ils rendent les plus vrais services, n’élèvent pas. Ce qui leur est dû après eux, c’est la justice, non l’enthousiasme. Le fils de Robert Walpole, Horace, prenant en main la défense de son père contre les ennemis qui l’avaient tant insulté, s’écriait un jour : « Chesterfield, Pulteney et Bolingbroke, voilà les saints qui ont vilipendé mon père… voilà les patriotes qui ont combattu cet excellent homme, reconnu par tous les partis comme incapable de vengeance autant que ministre l’a jamais été, mais à qui son expérience de l’espèce humaine arracha un jour cette mémorable parole : « Que très-peu d’hommes doivent devenir premiers ministres, car il ne convient pas qu’un trop grand nombre sachent combien les hommes sont méchants. » On pourrait appliquer cette parole à Mazarin lui-même, sauf le mot d’excellent homme qui suppose une sorte de cordialité, et qu’il ne méritait pas ; mais il est vrai de dire que c’étaient de singuliers juges d’honneur que les Montrésor, les Saint-Ibar, les Retz et tant d’autres, pour venir faire la leçon à Mazarin. Dans ses Lettres à la reine, il se moque d’eux tous, des prétentions et des ridicules de chacun, très-agréablement.

Quant au cardinal de Retz pourtant, il faut bien s’entendre ; c’est un trop grand écrivain, un trop incomparable auteur de Mémoires, pour qu’on l’abandonne ainsi sans faire ses réserves et, en quelque sorte, ses conditions. Dans un chapitre du Génie du Christianisme, où il examine pourquoi les Français ont tant de bons Mémoires et si peu de bonnes histoires, M. de Château--